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July 6, 2025

Une simple histoire de galère

Où votre héroïne sort les rames pour se sortir d'une situation affreusement banale. Avec de vrais morceaux de mental breakdown dedans.

Salut,

Je vous écris sur les rotules. Je me dis que ce n’est pas mal, parfois, d’en parler aussi. Il y a la poésie, il y a la vraie vie, il y a la poésie de la vraie vie et puis il y a aussi juste la pure galère qui fait rager. J’ai les yeux gonflés de fatigue et de larmes passées, un léger mal de crâne qui pulse depuis des jours, je suis au bout du rollmops.

C’est une histoire banale d’enchaînements malheureux. Un parent 2 qui a mal au ventre, va chez le médecin, puis aux urgences, et se fait finalement opérer d’une appendicite aiguë. Ça tombe forcément un weekend où personne n’est dispo pour me filer un coup de main, le premier jour de mes règles et d’une vague de chaleur. J’ai acheté un ventilo mais il met huit plombes à arriver. L’enfant dort mal la nuit, veut sortir le jour mais une fois dehors, ne comprend pas trop ce que c’est que ce délire, 30 °C à l’ombre.1 On passe le weekend sans trop de mal, à grand coup de laxisme parental : on écoute des heures de Petit Ours Brun sur l’iPad, la môme sait désormais naviguer Spotify aussi bien que moi. On regarde bien plus d’épisodes de Bluey que d’ordinaire autorisé. On mange des bonbons et des burgers. On se couche tard, pas grave, on espère que du coup on se lèvera un peu plus tard aussi. (Pas de bol, ça ne marche jamais ces calculs.)

Le parent 2 rentre à la maison, et alors tout autre chose démarre. Cette fois, l’enfant se demande vraiment quel genre d’arnaque on concocte, à l’hôpital censé « soigner papa », qui est parti vaillant marchant sur ses 2 jambes et qui revient incapable de soulever un grand verre d’eau rempli – alors une personne de 14 kilos, n’en parlons pas. On sent qu’elle pige pas trop, et il fait encore plus chaud. Le ventilo arrive. Ça nous occupe une bonne demi-heure, parce que « regardez papa maman, le ventilaleur il a une télécommande ! ». On fait faire des heures sup à la nounou, histoire de dégager du temps pour plier tout le linge propre qui s’est amoncelé pendant qu’on était au parc la veille.

L’enfant n’a pas vraiment fait de terrible two mais elle semble déterminée à faire un sacré threenager. Je me promets de ne jamais me plaindre d’elle à d’autres gens comme j’ai entendu des parents (parfois les miens) se plaindre de leurs enfants – quelque chose que j’ai lu ou entendu quelque part, ne jamais critiquer son enfant auprès d’un tiers à portée de son oreille. Du coup je me plains d’elle à elle-même. Troisième jour de règles, ça fait donc trois jours que j’ai des douleurs aux jambes qui occupent toute ma bande-passante. Je Google ce nouveau symptôme de mes cycles menstruels chaotiques, je lis que c’est peut-être la prostaglandine, l’hormone responsable des contractions utérines qui font dégager l’endomètre, qui se diffuserait proche des nerfs des jambes, et hop. Je réalise dans mon marasme que ça c’est nouveau, mais qu’en revanche je n’ai plus du tout mal dans le bas du dos, alors que ça m’handicapait vachement il y a quelques années. Le corps change, bla bla.

Je passe les heures de nounou à remplacer des poches de glace, à ranger la cuisine toujours encombrée et à réécrire des passages de mon roman. J’annule une sortie prévue avant l’appendicite, parce que notre entourage est sympa mais pas non plus corvéable à merci. Je demande à mon beau-frère de venir jouer avec sa nièce le temps que je suspende la lessive et commence à préparer le dîner. Je n’ai pas plié le linge. On est lundi et je commence à saturer : mon +1 me manque, parce que d’habitude c’est lui qui coupe les aliments pour que je n’aie qu’à les cuire, qui nettoie la litière du chat, qui descend le recyclable à la benne, qui dépend le linge, lui qui s’occupe de l’enfant pendant que je prépare le dîner, lui qui range la cuisine pendant que je couche l’enfant ou vice-versa, et que là, il aimerait bien mais il ne peut pas, donc je fais tout ou presque. Je réalise que les tâches dans notre couple sont bien réparties, que je n’étais vraiment pas faite pour être parent solo ou en couple avec un mec de merde, alors la vie fait bien les choses. Je deviens doucement marteau.

Je n’annule pas une deuxième sortie prévue le lendemain parce que je me dis que si je ne parle pas à des adultes d’autre chose que de ma maison, je vais finir par exploser. Je sors, je bois un verre, un deuxième, je suis entourée d’adultes, on ne parle pas de ma maison, c’est super. Je rentre tard, l’enfant dort déjà, je vais me coucher il fait encore chaud mais le ventilateur fonctionne très bien. L’enfant se réveille dans la nuit en hurlant. Le lendemain elle n’en aura aucun souvenir, moi j’aurai mis 1h à me rendormir.

Je finis de réécrire des phrases, d’éclaircir des passages, de bouger des virgules, de trouver des synonymes pour éviter des répétitions, de me demander si cette précision est importante. L’orage éclate alors qu’on doit absolument aller poster un papier important. J’ai été une super daronne : j’avais prévu le coup, et mis les bottes de pluie et le ciré de l’enfant dans mon totebag. Moi, je suis en débardeur et en sandales. Sur le chemin je croise plein d’adultes qui rigolent en voyant le tableau bizarre qu’on forme, la petite hyper équipée et l’adulte clairement en galère. Je suis contente de prendre le frais, je ne regrette pas d’être mouillée. De toute façon je n’ai plus de chaussures étanches.

Et malgré toutes mes précautions, ce n’est pas moi qui attraperai un rhume 2 jours plus tard, mais bien l’enfant emmitouflée.

Je finis quand même par exploser. On est jeudi, la petite threenager commence la journée du pied gauche, la moutarde me monte au nez, on arrive très en retard chez la nounou, elle me dit « fatiguée ? » je dis « un peu ». Je pense à mon linge toujours pas plié, à ma cuisine toujours pas rangée, à mon manuscrit terminé et à celui que je devrais commencer mais je n’ai plus du tout d’espace mental, aux soldes que je n’ai pas le temps de faire alors que je n’ai plus rien à ma taille, à mes ongles trop longs que je n’ai pas le courage de limer, aux mails que je laisse en vu, à ceux que je n’ai pas encore lus, au fait que je devrais aller courir mais que je n’en ai pas le courage, je suis déçue de tout et surtout de moi, ça monte ça monte ça monte encore, je passe la matinée à pleurer.

D’un côté, me dis-je pendant que je morve sur mon oreiller, ça fait tellement longtemps que je n’ai pas chialé comme ça que je ne saurais même plus dire à quand ça remonte ni pourquoi c’était. C’est plutôt positif, me dis-je, toujours dans un coin de ma tête en ce moment le fantôme de mon post-partum passé, je bosse même quand je ne bosse pas, je prends des notes mentales de ce que mon délabrement actuel n’est qu’un état fugace. C’est bon de le sentir dans mes os.

De l’autre, me dis-je en étouffant un hoquet, ça ne devrait pas être si pénible de m’occuper des gens que j’aime le plus au monde, ça ne devrait pas être si dur de ranger sa cuisine. Qu’est-ce qui cloche chez moi, etc., pour qu’en quatre jours de responsabilité quasi totale mais encore, de quoi je me plains, entre le tonton adorable et la nounou arrangeante, j’en connais des daronnes qui galèrent cent fois plus tous les jours que le bon dieu fait. Je déteste la personne que je deviens, celle qui roule des yeux quand l’adulte handicapé me demande de lui servir un verre d’eau, celle qui snap sur son petit enfant chamboulé, avant de s’excuser platement, avant de resnapper quelques minutes plus tard, le réservoir de patience est si lent à remplir, si rapide à vider. Je voudrais tout planter et me barrer. Ironique, pour quelqu’un qui vient d’ajouter aux remerciements de son prochain roman quelque chose à l’intention de sa fille, au cas où elle le lirait un jour, pour lui assurer que cette histoire de daronne qui se barre est une œuvre de fiction. Je ne me barre pas. Je me trouve égoïste et puérile, un peu pourrie gâtée, je suis déçue d’être aussi peu résistante à cette toute relative adversité.

Je chiale donc comme une merde. Longtemps.

Mon mari passe sa main dans mon dos et me dit que je suis dure avec moi-même. Mes amies me disent que c’est difficile de tout gérer. Que peut-être les femmes des générations précédentes ne se plaignaient pas parce que ça ne se faisait pas, et que ça n’aidait sûrement pas leur santé mentale. Je dis oui oui mais je me sens quand même hyper nulle.

Je ne bosse pas, je ne plie pas mon linge, je lis un bouquin comme si j’allais mourir si je le refermais, ce qui est peut-être exactement vrai, et je me demande si je ne vais pas annuler le play date prévu au square cet après-midi, mais en même temps : voir une adulte, et laisser l’enfant jouer au toboggan, ça ressemble à une urgence vitale. Alors on y va. Pendant que je sirote une délicieuse San Pellegrino clémentine-pêche et que ma fille séduit toutes les mômes du square en prêtant son flacon à bulles, je reçois un texto qui me dit qu’une livraison de nourriture arrive à 19h. J’ai oublié de mentionner que je me suis peut-être énormément plaint en ligne à mon groupe d’amis. Et que ces amis sont super.

Il fait moins chaud, je n’ai plus mes règles, je n’ai plus mal aux jambes, j’ai mis un jean et un vrai t-shirt, et je marche pieds nus dans le square. J’adore marcher pieds nus. On rentre à la maison en chantonnant, la threenager est redevenue une petite fille humblement fatiguée. On mange du moutabal et des falafels et des rakakats, on couche l’enfant, on se brosse les dents. Je finis le bouquin entamé. J’en commence un autre. Je n’ai plus envie de pleurer. Ça va mieux. J’ai survécu.

Je n’ai toujours pas bossé ni plié le linge et survivre n’est jamais un point final puisqu’il faut toujours au fond continuer à le faire, mais cette épreuve-ci est terminée. Tout passe.

Si vous êtes en galère en ce moment, je vous l’assure : tout passe.

On se retrouve en septembre pour la prochaine newsletter gratuite. Peut-être que j’aurai des choses cool à vous annoncer d’ici-là, peut-être pas. Si vous voulez + de lecture de ma part pendant l’été, vous pouvez prendre un abonnement Premium. Je continue les envois exclusifs tout juillet, il y aura des cartes postales surprise en août.

Bon courage, hauts les cœurs, vive les ventilateurs !

Pauline


  1. Habitant·es de contrées plus au sud de la mienne, mes pensées vont vers vous parce que je sais qu’en lisant ça, vous vous êtes dit « eh oh ça va nous c’était 40 °C. Désolée pour vous, mais moi en tout cas si je suis restée vivre à Lille ce n’était certainement pas pour avoir si chaud. ↩

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