Promise à un avenir radieux
Temps de lecture : 6 min
Salut,
Cette newsletter va parler de Promising Young Woman, et va en dévoiler le dénouement. Si le spoiler vous dérange, allez le voir et revenez lire cet envoi après !
Le film Promising Young Woman commence par la voix sucrée de Charlie XCX qui chante "j'étais occupée à penser aux garçons" pendant que des plans très resserrés scrutent des parties de corps d'hommes qui dansent en boîte de nuit. Ces hommes sont manifestement bourrés, et pas particulièrement séduisants. Bedonnants, gauches, ils sont pourtant découpés par la caméra exactement comme un réalisateur (au pif, Kechiche dans Mektoub My Love) le ferait pour filmer des jeunes meufs bonnes qui dansent.
Dans mon fauteuil de cinéma, je ricane. Je pense : cheh. Je me demande ce que ressentent les hommes dans la salle, à voir leurs semblables saucissonnés et objectivés comme nous les femmes le sommes si souvent. Le film s'ouvre d'une manière grinçante, et ça, ça me plaît.
C'est peut-être parce que c'est le premier film que je vais voir au cinéma depuis longtemps que j'ai envie d'en parler, d'y penser longuement, d'en débattre et de m'en nourrir. En tout cas, séduite par un casting attirant (vous savez que j'ai un faible pour Bo Burnham, et j'avais adoré Carey Mulligan dans Drive), je suis contente de m'être déplacée et d'avoir payé ma place pour Promising Young Woman. Ce qui est sûr, c'est que c'est de la nourriture pour l'esprit.
C'est donc l'histoire d'une jeune femme promise à avenir radieux, qui pourtant se retrouve à 30 ans toujours barista dans un café de hipster, sa flamme éteinte par le suicide de sa meilleure amie, violée en réunion pendant leurs études de médecine. Un tableau qui se dessine à mesure que l'intrigue avance et qu'on en apprend plus sur Cassie, notre protagoniste au regard mort et à la fossette attendrissante. L'énergie que Cassie ne met pas à réussir sa vie, elle l'emploie à piéger des nice guys qui profitent de l'ébriété des femmes pour outrepasser leur consentement.
Il y a quelque chose de jouissif dans cette idée. Elle ne les torture pas, ne les tue pas, elle leur fait peur. Quand ils sont sur le point de commettre un crime, elle se départit de son costume d'ivre-morte et les regarde dans les yeux : qu'est-ce que tu fais. Ils la prennent forcément pour une tarée, mais moi je vois son génie. Elle leur démontre, clinique, leur laideur. Ils répètent, "je suis un mec bien", et elle répond, "t'es sûr ?". Ils baissent les yeux. Elle ne fait pas grand chose, finalement. Je veux dire, je veux bien chercher sous toutes les coutures, mais je ne vois rien d'immoral dans la conduite de Cassie.
Et puis elle croise à nouveau le chemin du violeur de sa meilleure amie, et là elle veut vraiment se venger.1 Elle élabore un plan : elle va se faire passer pour une strip-teaseuse, s'incruster dans l'enterrement de vie de garçon du violeur, et lui faire payer.
Elle ne veut toujours pas le tuer, je précise.
Elle veut graver sur son torse le prénom de la femme qu'il a violée, détruite, et dont personne ne se souvient.
Et là, le film bascule. Le violeur se débat, prend le dessus, et tue Cassie. Il l'étouffe, très très très lentement avec un oreiller. La scène est interminable et franchement insoutenable. Après sa mort, j'ai laissé la fin du film se dérouler en essayant de remettre les morceaux de mon cœur à l'endroit. En voilà, une mort injuste.
Il y a plein de choses qu'on peut reprocher à Promising Young Woman : l'amalgame viol = mort, représenté par Nina qui ne sera jamais narratrice de son histoire, le doute posé sur la santé mentale de Cassie (perso, en tant que féministe vener, j'ai pas pensé qu'elle était folle, mais je vois qu'il est facile de se l'imaginer), le mal qu'elle fait aux femmes qui, à l'époque du viol de Nina, ont préféré détourner le regard et préserver la réputation d'un jeune homme brillant...
Moi, ce qui m'a le plus déçue — dans le sens où je me suis un peu sentie trahie — c'est que Cassie soit tuée, par le même violeur responsable de la mort de sa meilleure amie. La dernière partie du film le voit bien arrêté pour le meurtre de Cassie, elle était visiblement brillante et avait tout bordé, mais ça ne me convient pas. La mort d'une femme pèse plus lourd dans ma balance qu'un pauvre type en prison.2
Après coup, ça veut dire quoi, ça ? Que toute l'entreprise de revanche de Cassie était stérile et que seule l'arrestation d'un vrai violeur valait le coup, même si ça devait lui coûter la vie ? Ou bien Cassie a-t-elle été punie pour son esprit de vengeance (même pas si terrible, en plus ! elle n'a tué personne !!), pour son dérangement, son refus de laisser le passé être le passé et les boys être des boys ? Est-ce que le film essaye de nous dire que nous les meufs, on ne peut pas gagner ? Ou est-ce que le film est trop... *gasp* réaliste ? (emoji dégoûté)
Vous savez ce que je pense de la fiction et du prétendu "réalisme" : aux chiottes. Et si le féminisme a le vent en poupe, qu'il dicte un certain nombre de projets de fiction, que ce soit dans l'idée qu'un jour, on va la gagner, cette guerre. Je comprends qu'il faille des récits de vengeance, ce n'est vraiment pas contre ça que je me dresse aujourd'hui. Je voudrais que nos vengeances de femmes apportent du soulagement, de la joie, même féroces.
Je voudrais plus d'orageuses, moins de jeune femme prometteuse.
Dans Les orageuses, Marcia Burnier imagine un groupe de femmes toutes victimes de viol, qui se vengent. Elles forment corps surtout, se soutiennent mutuellement, se tiennent chaud. Un autre truc qui m'a déçue si fort, dans Promising Young Woman, c'est l'écrasante solitude qui entoure Cassie. Son armure, j'aurais voulu qu'elle devienne poreuse à un moment donné, et que sa relation avec la seule autre femme de son entourage, Gail (jouée par Laverne Cox), s'épanouisse en quelque chose qui a du sens.
Peut-être que les fictions hollywoodiennes "fraîches et féminines" habilement marketées sont à l'image de cette "ère post-MeToo" dont elles sont supposément les héritières : tristes, parce qu'elles nous disent qu'on continue de perdre.
C'est un peu l'impression que j'ai, moi aussi, parce que les femmes parlent un peu plus tous les jours mais c'est toujours beaucoup de silence qui leur répond. Je veux imaginer des mondes où nous faisons fracas, et où nous ne sommes plus seules. Malheureusement, Promising Young Woman n'a pas rempli cette promesse (ah ah) chez moi. Ce n'est pas grave, il y aura d'autres films, d'autres femmes, d'autres fracas.
Et vous, qu'avez-vous pensé de ce film ? À bientôt,
Pauline
La playlist de juin :
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La semaine prochaine, les abonné·es à la version payante d’Un invincible dimanche auront le plaisir de découvrir les mots de Lev, qui sera la première personne invitée à Un·e invincible invité·e. Un rendez-vous trimestriel, réservé aux abonné·es, qui donnera la parole à d’autres réalités que la mienne.
Lev nous parlera de ses passions, dans un texte très touchant que j’ai eu beaucoup de plaisir à éditer. Si vous voulez pouvoir lire cette belle lettre, on a mis en place une promo qui vous donne 25 % de réduction sur l’abonnement, qu’il soit mensuel ou annuel. Valable jusqu’au samedi 12 juin.
Il y a aussi une romance qui a réussi à me berner parce que j'adore l'amour, même quand il est hétéro et normé, mais je crois qu'il y a du pur génie dans la romance dans ce film, puisqu'en y regardant à deux fois, je revois tous les red flags et je me dis, évidemment que j'ai été bête. Par exemple, Cassie donne un faux numéro à Ryan, ce qui devrait être assez pour qu'il comprenne qu'elle ne veut pas de lui, mais il revient à la charge. C'est très rom com de base, ça, je tombe dans le panneau direct. Mais après réflexion : un faux numéro, ça veut dire "non", n'est-ce pas ? Et ce n'est pas parce que Cassie finit par tomber sous le charme que c'était OK au départ, en fait, si ? Ouuuh, gray areas.
Surtout quand on ne croit pas trop trop à la prison, comme c'est mon cas.