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Journal intime 2/3 : autocensure, autojugement, peur d'être lu·e
Salut,
J’ai toutes les peines du monde à me mettre au travail, en regard des dernières violences policières meurtrières et racistes. Pardonnez-moi donc si je vous ai habitué·es à mieux. Je me force un peu, en me disant que le journal intime, dans toute sa dimension thérapeutique, m’aide moi-même à digérer (et donc transformer, pas juste éliminer de mon système), les actualités.
Aujourd’hui, je vais vous parler des deux freins les plus cités dans mon enquête : l’autocensure et l’autojugement. Toutes les petites phrases de type :
j’écris mal
je n’ai rien d’intéressant à raconter
si quelqu’un·e me lisait (j’aurais l’air ridicule)
qui vont soit tuer dans l’œuf le mouvement d’écriture intime, soit le modifier, en poliçant le résultat, en l’éloignant du spontané.
Je vais vous livrer mes plus profondes certitudes à ces deux sujets.
Le journal intime n’est pas fait pour être lu (par personne, même pas son auteur·ice)
Le journal intime n’est pas un endroit de littérature (ça, je l’ai déjà dit, mais je le répète et le déploie)
Comment ça, un journal intime n’est pas fait pour être lu ?
Parfaitement. Tout l’intérêt du journal intime réside dans le processus qui le fait advenir. Puisqu’on part du principe qu’il a pour objectif principal de digérer les événements qui constellent notre parcours de vie, je n’irais pas jusqu’à dire que ça n’a aucun intérêt de le revisiter, mais je suis vraiment convaincue qu’il n’est pas fait pour ça.
Évacuons d’abord une question pressante : et si quelqu’un lisait mon journal sans mon accord ? Je comprends cette peur — qui d’ailleurs prend racine dans ce sentiment diffus qu’on a sans le nommer, qu’un journal n’est pas fait pour être lu — et je ne peux la résoudre pour personne. Si vous vivez avec des personnes en qui vous n’avez pas confiance, c’est effectivement un problème (qui dépasse largement le sujet du journal). Il existe des manières de tenir un journal (sur son téléphone, protégé par mot de passe, par exemple) qui permettent peut-être de se sentir un peu plus en sécurité. Si votre peur tient plus de l’irrationnel, il y a deux options :
dire “ce carnet est mon journal, je vous demande de ne pas y toucher” et faire confiance
ne rien dire du tout (et faire confiance)
Moi, j’ai opté pour la seconde. Mes journaux traînent partout depuis que j’en ai, celleux qui vivent près de moi n’y ont jamais touché. Je ne les considère pas comme des dossiers top-secrets, il m’arrive fréquemment d’écrire dedans en présence d’autres personnes. Ils contiennent une partie de moi que je préfère garder privée, mais si quelqu’un s’aventure à le lire, iel sera probablement plus gêné·e que moi, qui n’ai honte de rien de ce qui me traverse.
(Pour éviter toute lecture posthume, j’ai demandé à ma soeur de détruire mes journaux si je meurs avant elle. Quand je ferai un testament, je l’inscrirai noir sur blanc.)
Ma recette pour une revisite indolore
Le journal intime reste un excellent outil d’introspection. Où étais-je à telle date, et où suis-je maintenant ? Ai-je changé (oui, toujours) et comment ? Vous allez me dire, et à raison, que pour pouvoir faire ce travail, il faut pouvoir relire son journal. Oui ! Mais.
Pas n’importe comment.
Si, à chaque carnet terminé, vous passez trois heures à relire chaque mot posé, vous allez peut-être, en effet, vivre un moment inconfortable, voire indigeste. Vous avez écrit fréquemment mais sur une certaine durée sur ce qui vous a traversé, et tout relire d’un coup peut vous donner l’impression d’être un·e égocentrique patenté·e, qui ne parle que d’ielle (parce que c’est le but de l’exercice…) et qui fait des montagnes de taupinières, le tout en écrivant comme un pied. C’est normal ! Si vous avez traversé des mois difficiles, ça peut aussi vous les faire revivre d’une manière trop intense. Le but, ce n’est pas de se mettre mal. Et ce n’est surtout pas de se juger, encore moins sur la qualité supposée de l’écrit (on y revieeeent bientôt promis).
Ma technique de revisite peut vous aider à faire le bilan, calmement :
Imaginons que je termine mon carnet le 30 juin. Je prends ensuite quelques minutes pour relire toutes les entrées datées au 30 des mois précédents — si j’ai loupé un 30, je lis l’entrée la plus proche. Et c’est tout. Pour faciliter ma tâche, je répertorie au début de mes carnets, dans un sommaire, les pages où commencent de nouveaux mois : je sais à peu près où je dois chercher. En me concentrant sur une date par mois, je limite 1) le temps que j’y passe 2) l’affect que j’y mets. Je vais retrouver comme des instantanés de ma vie passée, sans que ce soit trop chargé émotionnellement, ou trop égocentrique.
Je viens de finir un carnet, que j’avais commencé au début du mois de juillet 2022 : j’étais au dernier tiers de ma grossesse, j’allais déménager. Toute l’année a été très chargée, avec mon accouchement, les premiers mois de maternité assez compliqués, le retour au travail… Retracer tout ça en n’ayant lu qu’une dizaine d’entrées m’a fait beaucoup de bien. J’étais là, je n’y suis plus, et l’ailleurs où je suis aujourd’hui n’aurait pu advenir sans tout ça.
Je suis autrice et dans mon journal, j’écris comme un pied
Je me suis dit que j’allais l’écrire en gros pour que ce ne soit pas pris comme un aveu. Parmi tous les freins revient celui de la qualité de l’écrit dans le journal intime et, ça par contre je vous l’avoue : j’ai mis du temps à comprendre, tant pour moi c’est évident depuis toujours que le journal intime n’est pas un lieu de littérature.
En y réfléchissant un peu, j’ai compris : on a probablement toustes déjà vu passer un journal intime célèbre, donc rendu public, probablement écrit par un ou une écrivain·e. C’est peut-être éblouissant (personnellement, ce type de littérature ne m’attire presque pas, pour toutes les raisons susmentionnées) et ça peut donc intimider. On se dit qu’un journal intime doit être bien écrit, puisqu’on ne lit que des journaux intimes bien écrit. Et puis à quoi bon écrire, si c’est pour le faire mal ? Bref, on se trompe (à mon humble mais tranché avis), mais ce n’est pas grave.
Moi dans mon journal j’écris mal. J’écris spontanément : je me mets souvent une limite (de place comme 1 page ou de temps, comme 10 minutes) et je déroule tout ce que j’ai dans la tête, sans chercher la bonne formulation, en m’autorisant les ratures, les abbréviations, les lieux communs. La seule chose qui compte c’est d’approcher “mon” réel, et de le faire sortir de moi pour laisser plus de place à autre chose, à de nouvelles choses. Ce n’est pas dans mon journal que je cherche à bien écrire, mieux écrire, écrire autrement, révolutionner la forme de l’écrit, raconter de meilleures histoires, être meilleure écrivaine. J’ai d’autres endroits pour ça, d’autres outils, d’autres temps.
Ça ne me fait pas mal au cœur, peut-être parce que justement j’ai d’autres endroits et d’autres temps, parce que c’est mon métier, parce que j’ai publié des livres qui me font penser qu’au moins quelques personnes savent que j’écris au moins un peu bien.
Mais si bien écrire est important pour vous, je ne peux que vous conseiller de séparer vos pratiques d’écriture intime, et d’écriture créative. Cela va sans dire (mais ça va mieux en le disant) que les deux peuvent se recouper, s’entrechoquer, se nourrir mutuellement, mais vous méritez un endroit qui n’a pas besoin d’être beau, abouti, maîtrisé. Un endroit gratuit et sans but. Qui n’appartient qu’à votre intériorité.
Je vous ai tout dit pour ce deuxième volet de la série sur le journal intime. Le mois prochain, on abordera les derniers freins les plus courants : la question du temps, et de l’assiduité. Avoir le temps, le prendre, le créer — avoir un rituel, l’adapter, se lâcher du lest.
Je vous souhaite un bon mois de juillet. Force à nous,
Pauline