Ode enflammée aux comédies romantiques
Plongée frénétique dans le monde des comédies romantiques : amour de soi et des autres, évolution du paysage féministe au sein du genre.
Salut,
Je sors d’un marathon effréné, j’ai le souffle court, le cœur battant, les mains tremblantes. J’ai lu huit comédies romantiques en dix jours. Presque tout1 a commencé à l’été 2023, où forte d’un cerveau peu disponible et d’un besoin de remonter définitivement la pente du post-partum et son petit moral afférent, j’ai été pointée dans la direction d’Emily Henry. C’est d’ailleurs je crois mon amie Emilie, qui m’a pointée dans la direction d’Emily Henry. L’an dernier, donc, j’ai lu tout ce qu’avait écrit Henry. Je m’étais dit : apparemment, en juin, je lis des romcoms. OK.
Sauf que fast-forward jusqu’à fin avril 2024, Emily Henry sort un nouveau roman (je l’avais marqué dans mon agenda, comme la zinz que je suis) et je dévore Funny Story en deux jours. Je n’essaye même pas de faire durer le plaisir, puisque j’ai décidé page 3 de toute façon de relire Book Lovers, mon préféré jusqu’alors, sitôt celui-ci terminé. Par bonheur je lis tout ça exactement en même temps que Julie, mon agente et amie, qui supporte mes sms effrénés pendant 48h. Et quand je finis de relire Book Lovers, Julie me conseille les romans de Ali Hazelwood, d’Esmé Béguin, et de Christina Lauren.
J’ai prévu d’aller écrire trois jours dans la forêt, il faut voyager léger, ni une ni deux je mets tout ça sur ma liseuse et c’est parti. C’était sans compter sur le fait que je suis extrêmement intense et que je suis capable, pendant dix jours, de lire des romcoms en apnée. (J’ai quand même superbement écrit, merci de demander. Si vous voulez en savoir plus sur ça, j’en parlerai dans la newsletter payante de mai.)
Le genre littéraire de la comédie romantique est peut-être un des plus méprisés. C’est un genre extrêmement féminin : l’immense majorité des auteurs sont des autrices, des lecteurs des lectrices, et les protagonistes sont quasiment toujours des femmes célibataires depuis plus ou moins longtemps, qui cherchent plus ou moins l’amour, et qui vont invariablement le trouver.2 À ce stade c’est tellement rempli de tout ce que le patriarcat déteste qu’on dirait un bingo. Et pourtant, c’est un genre très populaire. Quand j’étais ado, j’ai dévoré Le Journal de Bridget Jones et les Confessions d’une accro au shopping, deux propositions datées, qui ne manqueront pas de me faire sourciller si je les relisais aujourd’hui. La comédie romantique est une parfaite lecture de plage, ça se dévore sans prendre la tête, et ça fait vivre une aventure assez merveilleuse puisqu’il s’agit quand même de nous proposer la rencontre amoureuse, la rupture ET la réconciliation en un tome, en quelques heures de lecture, avec toute l’intensité émotionnelle que ça représente sans aucune des conséquences répercutées sur la vraie vie.
Avec le temps, je ne me suis jamais éloignée bien loin de la comédie romantique. C’est un genre que j’aime. Je ne pourrais pas lire que ça de ma vie, je dois reconnaître que ma soif de belles tournures et d’audace stylistique ne se mesure pas à ce que le genre propose. C’est répétitif, aussi : on connaît la recette par cœur, elle est réconfortante, mais parfois on a envie d’autre chose que de réconfort et de certitudes. Mais j’aime retourner régulièrement dans cette espèce de paradis, qui me fait une promesse folle. Oui, il existe un endroit où l’amour est au centre de toutes les préoccupations.
Je trouve qu’on a tendance à traiter l’amour vraiment par-dessus la jambe. On dit que ça nous intéresse, que ça nous occupe, mais est-ce si vrai que cela ? Dans la culture, française de surcroît, l’amour n’est qu’un marchepied pour atteindre autre chose, le sublime est rarement dans l’acte d’entretenir une relation d’amour et de la chérir comme un joyau précieux. Si vous trouvez que j’en fais trop, désolée mais vous faites partie du problème. On adoôOore les histoires d’amour déchirantes, passionnelles, où tout le monde se fait mal et où tout le monde souffre, peut-être parce qu’on a du mal à imaginer des narrations sans conflit et sans violence (c’est un fait, même, je pense) et qu’une bonne petite trahison ça fait toujours avancer l’intrigue, mais peut-être aussi parce qu’on a du mal à sortir du schéma de l’amour qui fait mal comme seul amour qui vaut la peine d’être vécu.

Même si la majorité des comédies romantiques construisent des histoires hétérosexuelles depuis la rencontre (le meet cute, on se rentre dedans dans la file à la poste) jusqu’à l’engagement long durée (le happy ever after, plus ou moins mariage-et-enfants-centré), je remarque quand même une nette tendance, dans les bouquins que je lis en tout cas et c’est pour ça qu’ils me plaisent, à se poser une question cruciale : comment s’aimer bien ?
Comment aimer l’autre et s’aimer soi, comment comprendre l’autre sans se perdre soi ? L’amour est-il toujours une raison suffisante ? N’y a-t-il que l’amour romantique sur terre ?
On parle beaucoup de révolution amoureuse, on lit des essais, on écoute des podcasts, et comme d’habitude (attention je m’échauffe) on oublie un petit peu qu’il existe des petits morceaux de réponse qui se plantent dans nos cœurs à chaque fois qu’on regarde Coup de foudre à Notting Hill ou qu’on lit Beach Read. Ces petits tessons fichés demandent qu’on les décortique et qu’on se demande effectivement ce qu’on pense de ce divertissement léger dont on n’attendait pas grand chose. Mais c’est un peu le délicieux cadeaux de la comédie romantique : on ne lui demande rien, elle nous donne tellement en retour. Quelle générosité.
Je crois qu’on assiste à un essor de la romcom féministe. Les femmes peuvent enfin être carriéristes, mères célibataires, grosses, bi, les hommes sont sensibles, attentionnés, ouverts au dialogue, et n’ont pas peur de dire je t’aime. Vous allez me dire wow les standards sont bas, mais oui les potos, dans les représentations culturelles de l’amour hétérosexuel, les standards sont encore assez bas et on n’a pas encore eu assez de mecs qui vont en thérapie, qui pleurent, qui s’excusent. Ni de meufs qui sont des vrais êtres humains en trois dimensions. De légèreté, de blagues ! Comment survivre à l’insoutenable gravité de l’existence sans partenaires de galéjade ?
Si vous pensez que la comédie romantique n’a rien à offrir à part des clichés, je suis ravie de vous annoncer que vous vous trompez au moins un peu. Ça ne veut pas dire que vous allez vous transformer au contact de cette newsletter, j’aimerais bien mais je ne suis pas magicienne, mais ça veut dire qu’il y a de l’espoir et surtout, qu’il y a (COMME TOUJOURS) des meufs qui font le taf pour transformer nos imaginaires depuis l’endroit où ils sont le plus sensibles.
Et si vous êtes du genre à ricaner au nez des comédies romantiques juste parce que, réfléchissez-y deux secondes : c’est facile de se moquer des femmes et de leur appétit pour l’amour, pour aimer et être aimée. Mais qu’est-ce que ça dit de vous, mes chère·es cyniques, mes désabusé·es ? Et que faites-vous pour mieux aimer, pour mieux être aimé·e ?
Il est intéressant de se souvenir qu’à une époque où il était très mal vu pour les femmes de lire des romans, car ça allait exciter leurs faibles constitutions et leurs esprits volatiles, des hommes se sont mis à écrire des romans de morale. Pamela ou la vertu récompensée (1740 !), par exemple, avait pour objectif explicite de « cultiver les principes de la vertu de la religion dans les jeunes esprits des deux sexes ». On sait très bien et depuis longtemps que l’imagination a un pouvoir immense même en matière d’amour, et ça fait presque trois cent ans que des vieux gars colonisent la nôtre pour nous dire comment il est seyant d’aimer. Pas trop fort, s’il vous plaît : pas trop de désir, pas trop d’attentes, pas trop d’attaches. Tièdement. Il faudrait recevoir avec sérieux le peu d’amour qu’on nous concède du bout des lèvres. Ou alors se consumer à toutes flammes le temps d’une passion torride qui ne peut qu’être répréhensible et de courte durée, car c’est le propre des passions. Elles sont les incartades qu’on autorise pour rendre la tiédeur plus supportable.
Flemme, un peu. Ces histoires faciles me font moins vibrer que la grande question : comment mieux s’aimer ?
Et cette grande question, dans un tour que seule la pop-culture peut nous jouer, se trouve dans les comédies romantiques.
Quelques recommandations avant de vous quitter, et avant ça un petit disclaimer : je vais partager avec vous des œuvres imparfaites. En matière d’amour, je ne suis pas sûre que la perfection soit un but à atteindre, et en matière de romcom pareil. Un truc que j’ai remarqué, c’est que les défauts des comédies romantiques sont souvent les points d’achoppement qui créent la conversation avec mes ami·es. De fait, ce ne sont pas vraiment des défauts et je viens de vous faire le coup classique de l’entretien d’embauche. Salto avant, réception, salut : applaudissements.
- Funny Story, de Emily Henry (EN) (no notes: mon pref de cette année, et de toute la vie jusqu’à nouvel ordre)
- Love on the Brain, de Ali Hazelwood (EN) (un homme amoureux ET qui est allé en thérapie régler ses problèmes avant de venir faire chier une meuf : c’est oui)
- Love and Other Words, de Christina Lauren (EN) (tomber amoureux pendant l’adolescence : un régal)
- The Exception to the Rule, de Christina Lauren (EN, c’est une nouvelle) (no notes non plus, elle est parfaite)
- Love Like a Movie, de Esmé Béguin (FR, eh oui)3 (une protagoniste grosse qui ne s’excuse pas d’exister ET de l’écriture inclusive dans le texte : prends ça, Bernard Pivot)
- One Last Stop, de Casey McQuiston (traduit en FR) (un ovni lesbien fantastique, dans le premier sens du terme, avec une apparition venue d’une autre époque : miam)
- Always Be My Maybe (c’est un film, dispo sur Netflix) (il est super et il y a Keanu Reeves dedans)
Et pour aller plus loin, cet épisode de Zoom Zoom Zen sur la New Romance, avec la journaliste Alix de Maintenant.
Prenez bien soin de vous, et ! Comme toujours ! De celleux que vous aimez. Faites de la place dans vos vies pour l’amour.
Pauline
PS : je sais que j’ai appâté un certain nombre d’entre vous avec la promesse de parler de mes opinions controversées sur les scènes de cul dans les romcom, mais je n’ai honnêtement plus de place, et je suis en train de réfléchir à du contenu additionnel réservé aux abonné·es payant·es. Des espèces de lettres bonus, pour justement mettre tout ce que je n’ai pas le place de mettre dans une lettre gratuite (que j’aimerais savoir lue par la majorité de ses destinataires). J’espère que vous ne m’en voulez pas, et promis quand j’aurai écrit cet épisode bonus je l’enverrai à tout le monde, en guise d’échantillon gratuit pour promouvoir la formule payante.
PS 2 : incidemment, INCIDEMMENT, j’ai écrit une nouvelle romantique et un peu comique, donc totalement dans le thème si vous voulez mon avis. Elle s’appelle Aucune notification et les préventes pour en obtenir un exemplaire magnifique sont encore en cours jusqu’au 26 mai. Courez, volez, ruez, svp ?
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Oh je n’en étais pas vraiment à mon coup d’essai, puisque j’ai lu tous les livres de Casey McQuiston à leur sortie, et qu’est Orgueil et Préjugés sinon la meilleure comédie romantique du monde ? Je l’ai lu 15 fois. Je sais de quoi je parle. ↩
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Il existe bien évidemment des romances LGBT et je les adore (Casey McQuiston, remember). ↩
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Si Love on the Brain est une ancienne fanfic Reylo (Rey x Kylo Ren dans Star Wars) qui s’assume, Love Like a Movie est une simple fanfic Pierre Niney qui ne s’assume pas du tout. Je l’adore, ma petite rejetonne pleine d’insécurités. ↩