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June 9, 2024

Le roman français est un papillon bleu

Relire mon premier roman, c'est comme relire de vieux statuts Facebook. (Un concours + une allégorie se cachent dans cette lettre.)

Salut,

Il y a deux semaines est parue la version poche de mon premier roman, Aux endroits brisés. Je ne pensais pas que ça me ferait autant d’effet, pour être honnête. C’est un roman que j’ai écrit à 23 ans, qui est paru quand j’en avais 26, je fêterai cette année mes 30 ans. Tant de choses ont changé depuis que je me suis lancé le défi d’écrire un roman en un mois, tant de choses ont changé depuis qu’il est passé de manuscrit malhabile à tome de papier.

Je pensais que cette sortie en poche allait me traverser comme un courant d’air. Après tout, depuis j’ai publié d’autres livres. Et c’est un roman si vieux à l’échelle de ma carrière. Le tout premier, celui auquel je pense en grimaçant un peu. J’étais si jeune, je ne savais rien à rien. Pour qui je me prenais ?

Pourtant, j’ai reçu mes exemplaires d’Aux endroits brisés et j’ai ressenti une fierté immense, et une grande gratitude. Même si cette parution est prévue depuis longtemps, sa réalisation m’a envoyé un message : c’est le début d’une deuxième vie. Un roman qui coûtait presque 20€ à sa sortie et qui maintenant passe sous la barre des 10€, c’est un nouveau souffle. C’est un privilège que n’ont vraiment pas toutes les histoires.

J’imagine que je ne vous apprends rien en rappelant ici qu’il sort chaque année environ 75 000 nouveaux livres. Ça fait une moyenne de 205 nouvelles parutions par jour. Le marché du livre est vertigineux. Un livre qui paraît, c’est une espèce de dissociation absurde entre ce que ça représente pour son auteur·ice (= des années de travail peu ou mal rémunéré, un investissement émotionnel et parfois matériel monstrueux, un morceau de son âme qu’on jette en pâture) et ce que ça représente pour littéralement tout le reste du monde : pas grand -chose.

Quand on sort un nouveau livre, la plupart du temps, littéralement rien ne se passe.

Quelques personnes l’achètent, laissent quelques étoiles sur Goodreads ou Babelio, et il faut convoquer l’intégralité de son self-control pour ne pas aller voir, certaines nous taguent sur Instagram. Quand on est un peu connu·e et/ou qu’on a de la chance, on peut avoir un entrefilet dans un magazine hebdomadaire. Rarement plus. Et. C’est. Tout.

Au bout de deux-trois semaines grand maximum, les librairies qui avaient été assez généreuses pour le placer en évidence sur une table doivent faire de la place pour d’autres nouveautés. Là encore, si on a de la chance, un ou deux exemplaires sont gardés en rayon, le reste est retourné à l’envoyeur (et souvent détruit).

La vie d’un roman, c’est donc ça : souvent, deux mois max, dont un avant même sa sortie officielle, quand on a fait envoyer des services presse et qu’on espère des retombées médiatiques.

Le roman français est un argus bleu : un très joli papillon, dont la banalité dans nos paysages n’a d’égale que la brièveté son existence. Et c’est le jeu, ma pauvre Lucette. On le sait quand on signe.1

Roman français : une allégorie. Source : Le Mag des Animaux

Voir son livre passer en poche, ce n’est pas tout à fait courant, et c’est peut-être pour ça que ça m’a fait un drôle de choc. C’est peut-être aussi parce que d’un coup, ce livre avait l’air d’avoir été écrit par quelqu’un d’autre que moi. Ce qui est vrai, d’une certaine manière : je ne suis plus la Pauline Harmange de 2018. En fait, en 2018, je n’étais même pas Pauline Harmange. Je vois ce petit livre pas très cher, je le feuillette et j’y vois des mots que je me souviens avoir écrits, et d’autres que j’ai totalement oubliés. J’ai pour ce premier roman une tendresse nouvelle, qui lave la gêne du temps passé.

Écrire c’est forcément figer. Une fois un livre imprimé, on ne peut plus revenir dessus. Pendant l’écriture, on passe beaucoup de temps à chercher les bons mots, et inexorablement, quelques mois, années après la parution du livre, on le rouvre et on se dit « eeeeh, aujourd’hui je n’écrirais pas ça comme ça ». Je crois que je ressens le même embarras que lorsque Facebook vous ressort des statuts de votre adolescence. Mais c’est aussi une chance de pouvoir constater le chemin parcouru. Trouver mon style amélioré, mes tics de langage disparus (ou plutôt remplacés par d’autres), mes intrigues plus intéressantes.

J’ai fait quelque chose de très vain quand j’ai reçu mes exemplaires. J’ai commencé à relire mon propre roman comme s’il avait été écrit par quelqu’un d’autre. (Promis, je ne passe pas mon temps à relire mes propres livres, vu que je passe déjà beaucoup trop de temps à relire mes propres manuscrits.) Je me suis dit : « ça tient la route ». Ce n’est pas mon meilleur livre, et encore heureux, vu que c’était ma première tentative. Mais c’est un bon livre, et j’en suis fière.

En fait, je suis très fière de tout ce que j’ai accompli depuis quelques années. Moi les hommes, je les déteste s’est vendu à presque 45 000 exemplaires en France, plus de 100 000 dans le monde. Je continue d’écrire pour vivre, de travailler sur des histoires qui me font vibrer. Donc j’imagine que cette lettre est une ode à moi-même et à mon travail, dont j’espère que vous pardonnerez le lyrisme et l’égocentrisme.

Pour fêter cette ressortie, cette deuxième vie, ce nouveau souffle, je vous propose un tirage au sort pour gagner 3 exemplaires dédicacés d’Aux endroits brisés en poche. Pour participer, il suffit de remplir ce formulaire avant le dimanche 16 juin (23h59). Je contacterai les gagnant·es par email le lendemain.

Merci de vous intéresser à ce travail de chenille. Je vous dis à bien vite.

Pauline


  1. Si on a la chance d’être bien accompagné·e par des êtres bienveillants qui ont à cœur notre bonheur, ce qui inclut parfois la lourde tâche de nous ramener sur Terre, loin des contes de fées éditoriaux. ↩

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