Le poids des plumes
Octobre tiendra sa revanche
Salut,
J’avais écrit une lettre parfaitement énervée, je m’apprêtais à la mettre en page, et puis le monde s’est dédoublé.1 Je n’avais plus du tout l’énergie d’être énervée, il me fallait soudain du moelleux, du doux du chaud du tendre. Mon post-partum ressemble à ça, une balançoire violente entre l’envie de tout foutre en l’air au rythme martelant d’un boléro de Ravel, et la lente coulée vers le sommeil, un sourire léger sur les lèvres, quelques notes de piano.
Je me suis retrouvée à dire à ma fille qui pleurait sans que je comprenne pourquoi : « Tu es mon unique projet. » J’ai remercié Francis Cabrel d’avoir dit tout ce qu’il y avait à dire sur l’amour, et pourtant la tirade dans laquelle j’ai glissé ces mots empruntés n’était pas d’une tendresse maternelle folle. Je lui disais, à ma toute petite, « Mais bien sûr que je vais m’occuper de toi même si je pue et rêve d’une douche, même si mon café refroidit, je n’ai pas dormi une nuit complète depuis 6 mois alors que tu n’en as qu’un, je ne capte pas ce que tu as, c’est pourtant simple non ? Quand on a faim on mange, quand on est fatigué on dort, pourquoi tu pleures, pourquoi, mais évidemment que je vais te bercer jusqu’à plus soif, puisque tu es mon unique projet. » Ça m’a fait sourire dans l’épuisement, et j’ai eu envie d’aller creuser dans la tendresse de cette phrase, comme un animal fouissant, me terrer dans l’amour, plutôt qu’aller gratter les croûtes de tout ce qui me gêne et m’endure.
Il fait frais, vous ne trouvez pas ? Depuis un mois tout pile, il fait de plus en plus froid. Un mois tout pile, c’est l’âge qu’a ma fille aujourd’hui. Elle est arrivée en même temps que l’automne, j’ai envie que ce soit elle qui ait mis fin à la saison des canicules, j’ai envie qu’elle soit le vent du haut de la montagne, l’eau transparente qui jaillit de la source. Il fait frais et nous avons remis les couettes dans leurs housses, après de très longs mois à ne dormir qu’à peine couverts des draps vides. À peine : après 27 ans à craindre de me faire manger les pieds par les monstres si je n’étais pas couverte en toute saison, enceinte j’ai appris à dormir nue comme un ver, sans rien pour protéger mon corps alors devenu invincible, des terreurs de la nuit.
On a remis les couettes, et depuis chaque soir – et parfois en après-midi, quand je m’octroie de dormir quand bébé dort2 – je me recouvre de la couette lourde de duvet,3 et je me sens. Tellement. Bien. Le poids et la chaleur qui viennent appuyer sur mon corps épuisé, j’avais oublié ce que ça faisait, le réconfort que ça pouvait m’apporter. À elle seule, ma couette rend la nuit moins effrayante, maintenant qu’elle n’est plus peuplée de monstres imaginaires mais du spectre autrement plus inquiétant des pleurs d’un bébé. Je n’avais pas encore fait s’équivaloir couette et réconfort, dans ma tête pourtant bien habituée à chercher du doux partout, surtout en automne.
Fan du sweater weather, j’aime la cosy season et son côté spooky, je suis prête à dégainer toutes les tendances instagram résumées en anglicismes. Avec mes bougies Pumpkin Spice et Apple Crumble, mes velléités de cinnamon rolls,4 mon plaid en tartan tout frais sorti du pressing, je suis prête à me rouler dans le réconfort comme dans les bras de mon mec, qui me serre fort contre lui quand je pleure, inconsolable, de n’être une mère qu’à peine suffisamment bonne.
Je n’ai pas l’énergie d’être vénère. Pas l’énergie de faire circuler cet énervement de manière responsable, c’est-à-dire avec un projet politique.5 Je me mets en retrait le temps de retrouver l’équilibre, point de colère alors dans cette lettre, j’espère qu’elle vous trouve enveloppé·es de douceur, des vapeurs d’une boisson juste assez chaude, de la perspective d’un repas juste assez épicé, d’une compagnie juste assez divertissante. Je suis très Boucle d’Or, en fait : le post-partum s’impose à moi comme une expérience où tout est trop ou trop peu, j’aspire à du juste assez.
Juste assez d’amour, ça tombe bien : ma toute petite s’éveille de sa sieste, et je vais pouvoir aller respirer son odeur de bébé brioché.
À bientôt,
Pauline
Petites recommandations en vrac :
L’Évaporée, de Fanny Chiarello et Wendy Delorme / Les épisodes du podcast Bookmakers avec Lola Lafon, Claude Ponti et Chloé Delaume / Les 4 épisodes du podcast Meta de Choc avec Béatrice Kammerer / Relire Annie Ernaux (toujours) / Ana et l’Entremonde, de Marc Dubuisson et Cy. / Les scones à la framboise / Mettre des croûtons dans la soupe / Envoyer des colis de bouffe à vos copines en post-partum / Quand quelqu’un dit « n’hésite pas », ne pas hésiter.
Écouter cette chanson de Clara Ysé qui me hante depuis un an maintenant. (PS : non, je ne mettrai aucun lien externe dans cette lettre, si vous voulez trouver les trucs, il faudra les chercher. C’est ça ou pas de newsletter, voilà les impératifs de la vie de nouvelle mère.)
J’ai beaucoup d’opinions sur ce conseil que je trouve bien claqué au sol, en fait.
C’est pas végane, je sais.
Tout ça, bougies et velléités, sont dues à Charlotte Faraday, à ses bougies absolument incroyables chez A Slow Sunday et à sa newsletter que j’adore.
Pour ça, pourquoi ne pas lire Fruits de la colère, l’ouvrage collectif que j’ai dirigé, qui contient 4 textes et 2 poèmes explorant la colère sous les prismes de l’intime, du politique, du collectif et de l’individuel ? Ça sort le 12 octobre, c’est super.