Le poids de la maternité
Où je soulève de la fonte ainsi que le poids de ma culpabilité.
Salut,
Début février, avec un bon mois de retard sur les bonnes résolutions, j’ai eu une espèce d’épiphanie. J’ai arrêté de fumer, j’ai pris rendez-vous chez une diététicienne, et je me suis réinscrite à la salle de sport. Une espèce d’opération « Mon corps est un temple 2024 » qui m’a moi-même surprise, tant par l’intensité de ma motivation que par son caractère soudain. Je crois que je me suis dit que j’en avais marre de subir mon corps, et de faire subir à mon corps.
Depuis, je suis assez sérieuse : je n’ai pas refumé une seule fois, même quand j’avais une heure à tuer avant d’oser entrer dans la Maison de la Radio pour enregistrer un épisode de Zoom Zoom Zen pour France Inter1, j’ai rajouté des protéines et des légumes à la majorité de mes repas, et j’ai fait du sport au moins 2 fois par semaine, sans faillir, même quand ça voulait dire embarquer mes baskets et une tenue dans les bagages pour les vacances, qu’on se trimballe pendant des heures de train.2 Je continue de dire « je ne sais pas combien de temps ça va durer, cette motivation », comme si demain n’existait pas, comme si ça ne tenait pas qu’à moi, et d’ailleurs c’est un peu le cas, je ne suis pas hyper partante de dire « quand on veut, on peut », et qu’il suffit d’un peu de discipline pour tenir une habitude. Je pense que c’est un peu plus complexe que ça. Et moi qui ai toujours su arrêter la cigarette jusqu’à ce qu’un événement ultra stressant ne survienne, qui suis-je pour dire que je suis désormais une fit-girl pour toujours ? (Je ne suis probablement pas une fit-girl. Je ne cherche pas à l’être.)
Quand je partage un selfie de moi à la salle de sport un dimanche matin à 9h tapantes, je le fais avec les yeux écarquillés : qui est cette meuf en fait ? Je ne me trouve pas extraordinaire (mais je veux bien une médaille), je suis juste un peu ébaubie de la puissance de cette détermination. Je ne sais pas d’où elle vient, ni pourquoi elle reste. Enfin je sais un peu. Mais j’ai un peu honte de le dire. Donc je fais semblant que je ne sais pas du tout, et que je découvre une facette de moi jusqu’alors inconnue : alors comme ça tout ce temps, il y avait une fit-girl en moi ?! Ça alors !
La vérité, c’est qu’aller à la salle de sport le dimanche matin de 9h à 10h, rentrer à 10h30 et passer ensuite 30 min sous la douche à me décrasser, c’est donc m’assurer... deux heures de relève dans ma charge parentale. Je vais au sport le dimanche matin pour ne pas avoir à être mère pendant deux heures le dimanche. Peut-être que si les bébés faisaient des grasses mat’, je n’irais pas à la salle de sport, et je préférerais lambiner au lit, mais en l’état je suis levée à 7h donc à 9h, je n’attends déjà plus que ça, d’enfiler mon sac à dos et d’être injoignable pendant 1h parce que je suis trop occupée à soulever de la fonte.
Je n’ai donc découvert aucune facette de moi, puisque j’ai toujours su et ça m’a de nouveau frappé en plein visage environ 3 jours après avoir accouché, que j’ai un intense besoin de solitude et que je déteste avoir des responsabilités (oups, pas de bol). C’est tout simplement beaucoup mieux vu socialement de quitter sa charge parentale 2h par jour pour faire du sport, que pour prendre un bain, aller au cinéma ou faire des Lego. Surtout quand on est une mère.
Pourtant il n’y a vraiment personne dans mon entourage qui me dirait que je suis une mauvaise mère, si je faisais une de ces activités futiles susmentionnées. C’est moi toute seule qui n’y arrive pas trop. J’ai remarqué que quand je suis avec ma fille, je n’arrive pas trop à la laisser jouer sans surveillance, même maintenant qu’elle a l’âge de se lire des livres toute seule et que son environnement, chez nous du moins, est sécurisé. J’ai constamment peur de ne pas être « assez là », assez bien là. La seule manière pour moi d’échapper à cette pression que je me mets toute seule mais pas tellement vous l’aurez compris c’est quand même un peu la faute de la société, c’est de quitter physiquement le domicile pour aller faire quelque chose de plutôt bien vu : du sport. Ou une émission pour France Inter.
C’est que le noeud du problème n’est pas tellement moi et ma fille, c’est tout le poids que peut peser le rôle de la maternité. Je n’ai pas tout choisi dans ma vie, je l’ai déjà dit. Je n’ai pas choisi d’être mère au foyer à mi-temps et donc de passer beaucoup plus de temps avec mon enfant que son deuxième parent. Je n’ai pas choisi d’être la seule personne qui aime manger et cuisiner dans mon couple et donc la plus susceptible de prendre en charge l’alimentation d’une enfant. Je n’ai pas choisi d’être une personne assez solitaire, peu résistante aux sollicitations permanentes, et donc d’avoir beaucoup besoin de séparation pour ne pas étouffer. Je n’ai pas choisi de me sentir coupable quand toutes les responsabilités qui m’ont échu par la force des choses me sont trop lourdes. Qu’on s’entende : personne autour de moi ne me fait ne serait-ce que sentir que je suis une mauvaise mère, mais je n’ai besoin de personne, je me mets la pression « toute seule » (c’est-à-dire que j’ai hyper bien intégré les injonctions de la société).
Il est quasiment certain que si je n’étais pas mère d’une toute petite, je n’irais pas à la salle de sport deux fois par semaine (je le sais, puisque j’ai déjà essayé par le passé, sans succès). Et tant mieux, au final, tout le monde est gagnant : ma fille passe du temps privilégié avec son père, je prends soin de mon corps maltraité par la grossesse, l’accouchement et le post-partum, je passe du temps avec moi-même sans penser à rien (d’autre que mes biceps, héhé) et quand je rentre, je suis trop contente d’avoir eu cette bulle, et donc beaucoup plus patiente et joviale.
Je ne devrais donc pas avoir honte. Pourtant... je suis fascinée par ce processus d’intériorisation des injonctions. Il me semble que la maternité est un état tellement vulnérabilisant3 qu’on passe beaucoup de temps à fake it ’til we make it : à agir comme on le ferait si on n’avait aucune culpabilité. On ne devrait pas en ressentir mais elle est quand même là, et si on attendait de ne plus se sentir coupable pour faire des choses banales comme du sport (ou prendre un bain ou aller au cinéma ou faire des Lego), nos enfants auraient dix-huit ans et nous regarderaient, dépité·es, en nous disant « mais maman pourquoi t’as attendu si longtemps ? ».
Ma fille a eu dix-huit mois il y a quelques jours. Elle est en pleine quête d’autonomie. Alors c’est peut-être aussi le temps naturel de la vie, que ce soit à peu près maintenant que je me remette en quête de la mienne, sans que cela me paraisse plus monstrueux mais enfin mérité. Peut-être qu’avant, je n’aurais pas été prête, et ça n’aurait pas marché. Dans mon journal, je note : « Je ne sais pas trop ce qui a changé, si ce n’est que tout a changé. »
Je continue de mesurer combien devenir mère a absolument bouleversé ma vie.
J’espère que vous allez bien, je vous dis à bien vite.
Pauline
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Je me suis demandé si j’allais vous faire un petit encart de mes petites news perso, et finalement ça s’est glissé avec tellement de subtilité dans cette lettre...4 ↩
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Du coup, clairement, quand on a pris des baskets dans l’un des 3 sacs qu’on se trimballe en train, on est un peu obligée de les utiliser sinon on a clairement abusé. ↩
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Vous y croyez, vous, que ce mot n’existe presque pas ? ↩
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J’ai quand même une petite news : je suis fière de vous annoncer la publication de ma nouvelle inédite Aucune notification chez La Fourmi Éditions, une toute nouvelle maison qui abritera des histoires courtes et sensibles. Les préventes pour mon texte et pour le premier roman graphique de Chien fou commencent le 26 avril, stay tuned. ↩
"Je continue de mesurer combien devenir mère a absolument bouleversé ma vie." ceci est une de ces immenses choses qui me fait peur dans mon questionnement sur la maternité. Mais c'est chouette de te lire sur le sujet, ça donne du relief à cette phrase qui n'est "que" effrayante si elle n'était pas précédée de tout le reste.
(sinon c'est rigolo, nos newsletters du jour se répondent presque, je crois que c'est pas la première fois, j'aime bien ces hasards)