L'art de se surprendre
Comment un livre tiré au sort est peut-être pile la dose d'excitation dont j'ai besoin.
Salut,
Il est de coutume de terminer l’année en faisant le bilan et de commencer la suivante en prenant des résolutions. Il est aussi de coutume de dire que ces coutumes sont crétines, que la majorité des abonnements à la salle de sport sont pris en janvier par des gens qui y iront deux mois avant de se lasser, et qu’on n’est jamais mieux qu’exactement tel qu’on est.
J’entends les deux : j’entends qu’on aime les occasions de faire le point sur soi, les autres et le monde mais aussi que ça angoisse, déprime ou mette en colère. J’entends qu’on aime tenter d’atteindre la meilleure version de soi-même, mais aussi que ce soit une quête individualiste inscrite dans un système qui veut nous empêcher d’inscrire nos problèmes dans des dynamiques collectives.
La résolution la plus atteignable que j’ai prise en ce début d’année, est d’enfin lire les livres qui sont sur ma proverbiale pile à lire. Celle-ci est l’étagère du bas de ma très belle bibliothèque, et elle me fait face dès que je suis assise dans mon canapé (pour scroller plutôt que lire). Elle est composée de seulement 37 ouvrages, ce qui n’est pas tout à fait insurmontable, et pourtant parmi ces livres j’en compte au moins un qui y est depuis 6 ans. Comme on m’a offert pas mal de bouquins pour les fêtes, je me suis dit que ce serait bien de leur faire honneur en les lisant avant de mourir, plutôt que de regarder les gens qui m’ont fait ces cadeaux avec un sourire benêt d’avoir trop scrollé. Ou d’avoir encore préféré lire une romcom que ce bouquin super sérieux que j’ai pourtant très envie de voir inscrit dans mon ADN culturel. Bref.
Comme je suis un être de contradictions, j’aime à la fois essayer d’atteindre la meilleure version de moi-même et aussi ne rien faire du tout et me complaire dans mes travers. Je passe donc pas mal de temps à trouver des stratégies pour me pousser un peu au cul, mais gentiment, parce que je suis pas là pour souffrir, OK. Au contraire, je pense fondamentalement que je suis là pour kiffer. Voyez, j’ai saisi le prétexte d’une idée de roman pour me mettre à la course à pied et je me suis éclatée : c’est que ça marche.
Quand ma copine Anaïs m’a dit qu’elle avait recensé sa pile à lire (bien plus extensive que la mienne, à vrai dire), pour tirer au sort ses lectures, j’ai crié AU GÉNIE. J’ai fait pareil, parce que non seulement j’ai des contradictions mais aussi très peu de personnalité, et l’idée de tirer au sort ma première lecture de 2025 m’a complètement motivée pour finir ma dernière lecture de 2024, qui traînait pourtant depuis des mois1. Hier, j’ai tiré au sort L’art de marcher, de Rebecca Solnit, que j’ai sur cette étagère depuis cet été et dont j’aime en théorie le concept. Un bouquin pas du tout sur le féminisme mais écrit par une autrice féministe, c’est techniquement ce que je préfère, en terme de non-fiction. Mais vous savez comment c’est : il y a toujours plus pressant à lire qu’un bouquin sur L’HISTOIRE DE LA MARCHE À PIED.
Mais le tirage au sort tient juste assez de la gamification pour qu’une petite dose de dopamine m’ait été délivrée et pour que je sois surexcitée d’avoir ce livre à lire, moi qui le contemplais jusqu’alors d’un air morne en me disant, moui sûrement mais quand j’aurai fini de lire des romcoms. (On n’a jamais fini de lire des romcoms.) Je l’ai commencé ce matin (après avoir fait du sport...) et ça s’annonce très intéressant.
Le mois dernier, j’écrivais que je n’aimais pas beaucoup les surprises. J’ai été un peu malhonnête – sans le vouloir, promis. S’il est vrai que je n’aime beaucoup être surprise, j’aime beaucoup me surprendre. Je n’ai pas besoin que la vie me tende des pièges et m’organise des surprise parties, je suis parfaitement capable de m’en charger moi-même. Qu’il s’agisse de trouver de nouvelles manières de choisir des livres (ce qui, quand on aime lire, revient à trouver de nouvelles manières de se rendre dans des territoires inconnus) ou de décider de donner mes ovocytes (ce qui, surprise, recouvre une réalité bien plus contraignante mais aussi plus intéressante que je l’imaginais), j’aime en réalité plutôt bien relever des défis, tant que je reste aux manettes.
C’est ainsi que j’entame 2025 sans aucun projet particulier, sans envie précise, sans objectif à atteindre. J’ai fait le point et tout bien considéré, je pense que je vais continuer sur ma lancée : laisser venir à moi ce qui doit, et sauter sur pas mal d’occasions pour faire des trucs un peu zinzin (pour moi) au débotté. Il y a des histoires à raconter, des aventures à vivre, des rencontres à faire, des liens à chérir. Tout ça est, je n’en doute pas, juste au coin de la rue.
Il y a aussi quelque chose d’urgent bien que nébuleux, quelque chose de l’ordre de l’empathie, de l’émotion, de l’amour. On y revient toujours et on n’échappera pas aux grincheuxses qui diront que l’amour n’a jamais rien guéri – on leur dira qu’ils n’ont pas assez essayé. Je ne sais pas si j’ai retrouvé assez d’énergie pour me mêler aux autres et pour prendre part active / matérielle / corporelle aux grands combats qu’il est nécessaire de mener, pour la paix, pour l’égalité, pour la justice, mais je sais qu’il est tout aussi important de garder en moi allumé le feu de l’espoir, et c’est un feu nourri d’amour.
Je vous souhaite une bien belle année. Je me réjouis de la passer un peu avec vous, pour une quatrième année d’Un invincible été dans sa forme de newsletter. L’an dernier, j’ai écrit 45 infolettres dont 12 gratuites, pour un total de 53 668 mots, soit l'équivalent d'un court roman. Vous êtes 3875 inscrit·es dont 210 abonné·es premium. Je suis très fière de tout ça et pleine de gratitude. Merci d’être là, peu importe la fréquence et le format.
Prenez soin de vous,
Pauline
La petite nouveauté de cette année, c’est qu’il y aura parfois du contenu visible uniquement aux abonné·es premium dans la newsletter gratuite. Pour rappel, la newsletter c’est un tiers de mes revenus annuels. Si vous aimez me lire, pourquoi pas me soutenir ? Ce mois-ci, je partage en exclusivité premium mon best of lectures, films et séries de 2024.
C’était Ainsi l’animal et nous, de Kaoutar Harchi, paru en 2024 chez Actes Sud. Un essai très exigeant mais absolument brillant sur la relation intrinsèque entre les violences faites aux animaux et celles faites à certaines catégories d’êtres humains. ↩