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October 5, 2025

La musique de L'autre côté de la mère

Du caractère collectif de l’œuvre achevée, + 3 albums pour finir d'écrire un livre.

Salut,

Un truc qui me fascine, dans pas mal de romans anglophones et surtout américains, c’est la longueur des pages de remerciements. Avant d’écrire des livres, je crois que je ne lisais jamais les remerciements. Et puis j’ai eu l’occasion d’écrire les miens, donc je me suis penchée sur ceux des autres, et j’ai découvert que j’adore ce paratexte précieux. Aujourd’hui, quand un roman se termine sans remerciements, je suis presque offusquée. Comment ça, tu veux nous faire croire que ce livre n’a eu besoin de personne d’autre que toi pour exister ? Je sais bien que c’est faux.

J’ai déjà lu des romans dans lesquels les remerciements faisaient quatre, cinq, six pages. L’impression que l’autrice remercie tout le monde et sa grand-mère, depuis l’enseignant qui a supervisé la thèse qui a été le premier jet de ce livre, jusqu’à chaque membre, individuellement nommée, du groupe d’écriture qui a soutenu l’autrice dans tous ses rounds of edit, en passant par la famille qui a insufflé la passion, les animaux de compagnie qui ont rappelé à l’autrice l’existence du monde extérieur, lae partenaire qui a versé des tasses de café et lae barista qui a fini par apprendre sa commande par cœur. C’est parfois un peu beaucoup, et nul doute qu’il y a une part de politique là-dedans,1 mais c’est aussi réconfortant, quelque part. C’est une vulnérabilité, d’admettre qu’on a eu besoin d’autres gens, parfois de vraiment plein de gens, pour faire naître une œuvre. Il n’y a peut-être que dans les livres qu’on peut prendre autant de place pour montrer cette gratitude.

Il y a souvent plein d’informations intéressantes aussi sur la vie de l’auteurice. Les noms de ses animaux de compagnie, par exemple, ou la présence d’enfants, qui sont parfois remerciés, parfois mentionnés en passant quand l’autrice (souvent une femme, oui), remercie les personnes qui ont rendu possible la coexistence de la petite enfance et de l’écriture. Et parfois il y a des infos que personnellement, j’adore : ce que l’auteurice a bu, regardé, lu, écouté, là où iel a voyagé, ce qui a infusé en lui ou elle pendant son travail sur le livre que je viens de lire.

En anglais, ces pages d’ailleurs ne s’appellent pas « Remerciements », mais « Acknowledgements »,2 soit remerciements, oui, mais aussi « reconnaissance », et la distinction est intéressante. Les remerciements, c’est très personnifié, très intime, j’ai l’impression qu’on remercie de vraies gens qu’on connaît, de près ou de loin. Dans les acknowledgements, j’ai l’impression qu’on laisse plus de place aux influences, aux inspirations. C’est peut-être une intuition erronée, je ne suis pas linguiste, mais c’est l’effet que ça me fait.

J’essaye depuis des années de trouver un seul mot pour traduire « Acknowledgements » d’une manière qui me satisfasse, mais je peine encore. Dans De l’autre côté de la mère, ces deux pages s’appellent « Remerciements et notes », et comme dans d’autres de mes livres, j’y ai mis les gens qui ont compté, les références importantes, et la musique que j’ai écoutée pendant que je travaillais sur ce texte. C’est de ça dont j’ai envie de vous parler aujourd’hui, sûrement inspirée par la newsletter de l’autrice Alicia Thompson, que j’adore.3

La musique du livre

Quand je fais le tri de ce que je vais dire dans ces acknowledgements, j’essaye de ne pas trop raconter ma vie, je me demande ce que j’aimerais trouver si j’étais une personne qui rencontrait mon travail pour la première fois via ce livre spécifique. Et ce que j’aime, quand j’ai fini un livre et qu’il m’a assez plu pour que je lise les remerciements, c’est d’en prolonger l’atmosphère.

Pendant les quatre ans de travail sur De l’autre côté de la mère, j’ai écouté plein de choses sans vraiment y faire gaffe, mais les choix d’écoute conscients que j’ai faits, ceux qui avaient du sens pour le livre, sont les suivants :

Extrait de la page du livre.

J’ai découvert Clara Ysé avec Le monde s’est dédoublé. Je crois que je l’ai déjà raconté ici : j’ai écrit tout le mois de novembre 2021 — une partie du premier jet de L’autre côté de la mère — en n’écoutant que cette chanson en boucle. Quand j’ai accouché, dix mois plus tard, la chanson m’est revenue et m’a habitée à nouveau, différemment. Je me souviens d’avoir beaucoup pleuré sur les arrangements grandioses, qui projetaient hors de moi des vagues d’un chagrin que je détricote encore aujourd’hui.4 Alors quand Oceano Nox est paru, je m’y suis jetée à corps perdu. C’est un très bel album qui parle de deuil et de désir, de perdre une mère et d’aimer une femme : je ne m’en rendais pas compte en l’écoutant les premières fois, mais ce n’est pas un hasard qu’il ait accompagné la fin de l’écriture et les réécritures de L’autre côté.

Je mentionne aussi Mon sang, le dernier album de Clara Luciani. Sorti fin 2024, il a fait partie intégrante de mes dernières réécritures, au moment où je tentais de peaufiner des choses importantes sur les liens tissés dans cette histoire familiale. Dans cet album, la chanteuse parle de son enfant, de sa mère (encore !), et aussi de la personne qu’elle aime, dans Cette vie qui me percute de plein fouet. C’était l’accompagnement parfait pour ajouter un peu de légèreté, de bonheur, dans ce qui était encore à ce moment-là un peu trop sombre et sérieux.

Je réalise en l’écrivant que j’ai vu les deux Clara en concert, en sandwich d’ailleurs : Clara Luciani quand j’étais enceinte (pour la tournée de Coeur), Clara Ysé quand j’attendais de connaître le destin du roman que j’avais écrit, et de nouveau Clara Luciani après avoir envoyé une énième mouture du roman à mon éditrice.

Enfin, j’ai découvert tardivement mais avec enthousiasme Chappell Roan, et alors j’ai écouté The Rise and Fall of a Midwest Princess avec l’excès qui me caractérise. Ici, le fond comme la forme n’ont pas grand-chose à voir avec le contenu du roman, mais il arrive un moment dans les fameux rounds of edits d’un roman où une bande-son qui fait danser, crier, chanter, est exactement ce dont j’ai besoin. C’est ça ou me taper la tête contre les murs en geignant, donc mon entourage tout entier remercie Chappell Roan pour ses travaux. Le fait que ce soit si libérateur à chanter est un facteur important : après une journée la bouche fermée devant un écran, j’aime bien faire toutes mes tâches ménagères en chantant « depuis le sommet de mes poumons », comme disent les anglophones. C’est comme une bonne séance de sport, ça défoule.

Je vous laisserai découvrir l’intégralité des remerciements et des notes de L’autre côté de la mère, qui sort dans 3 jours (mercredi ! 8 ! octobre !) dans toutes les librairies, au même prix partout, etc. Et comme promis sur les réseaux, les premières pages du roman sont disponibles en ligne.5

Lire le début du roman

Merci de votre attention et à bientôt j’espère, dans les pages du livre, en rencontre, sur les réseaux !

Pauline

PS : rappel que je serai à Lille, Paris et Bruxelles bientôt, toutes les infos sur cette page. Et pour que je vienne plus près de chez vous, n'hésitez pas à en toucher un mot à votre libraire préféré·e. Je rappelle que les auteurices vont là où on les invite !


  1. Ça me fait penser à un épisode de The Studio, appelé The Golden Globes, dans lequel le personnage du directeur du studio de cinéma, joué par Seth Rogen, passe tout son temps à essayer d’être remercié dans le discours d’acceptation de Zoë Kravitz. C’est son seul moyen d’être nommé à la télé pour que sa mère puisse dire à ses copines que son fils a gagné une distinction. De son côté, le directeur de Netflix est remercié avec effusion et chaleur à chaque fois qu’une de ses productions est récompensée. On apprend à la fin que ce n’est pas du tout spontané : c’est une clause inscrite dans les contrats avec chacun·e des talents qu’il signe. ↩

  2. Dans les épreuves non-corrigées (qui s’appelle advanced reading copies, ou ARC en anglais), c’est parfois abrégé en « Acks » et je trouve ça trop drôle. Oui bah ça va on a les rigolades qu’on peut en ces temps difficiles. ↩

  3. C’est une autrice de romcoms que j’aime beaucoup, il y a toujours au moins un personnage bi dans ses histoires, mon cœur est comblé. Dans ses newsletters hebdomadaires, elle est très drôle et parle d’écriture, de lecture, de sa vie. Chacune porte le titre d’une chanson à laquelle elle pense en ce moment. Elle a récemment publié la playlist officielle annotée de son dernier roman (Never Been Shipped, que j’ai beaucoup aimé), un travail à la fois délicieusement autocentré et généreux. ↩

  4. Dans Une catastrophe naturelle, la newsletter-essai qui paraît tous les 4èmes dimanches du mois jusqu’en juin, dispo avec l’abonnement à Un invincible été Premium ou via un abonnement mensuel au projet uniquement, toutes les infos sont là, prenez le train en marche, on est bien. (Héhé, deux promos pour le prix d’une, cette fille a une licence de communication.) ↩

  5. D’habitude, j’envoie le texte directement dans le corps de la newsletter, mais c’est la première fois que mon livre est feuilletable en ligne directement sur le site de la maison d’édition. Je me dis que c’est plus confortable pour vous, quand même, et comme ça, ça m’a permis de raconter d’autres choses aussi. ↩

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  • Sep 09, 2025

    De l'autre côté de la mère (sort le 8 octobre)

    De la fiction, des femmes et de nos histoires.

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