J'ai pas le temps (mon esprit glisse ailleurs)
Journal intime 3/3
Salut,
Si vous avez loupé les deux derniers épisodes de cette série sur le journal intime, permettez-moi de vous rafraîchir la mémoire : en juin, je vous parlais de l’intérêt du journal intime comme pratique autoréflexive, et en juillet, j’essayais de vous transmettre qu’un journal intime n’a pas pour vocation d’être lu. Aujourd’hui, je vous parle de l’idée du rituel, et de comment lae transcender (l’idée, le rituel, peu importe).
Le roi est mort
J’aimerais poser la base : ce qui fait le journal intime, ce n’est pas l’assiduité avec laquelle on le remplit. Il y a beaucoup de bénéfices à être régulièr·e dans sa pratique de l’écriture de soi, si j’avais envie d’avoir l’air sérieuse j’irais vous pêcher des articles recensant des études sur combien ça rend plus intelligent d’écrire 3 pages ou 10 minutes par jour tous les jours de sa vie. Mais je me fiche d’avoir l’air sérieuse, je suis plus intéressée par l’obsession, peut-être contemporaine ou peut-être millénaire (je n’en sais fichtre rien), des choses qui durent. Est-ce que c’est pour tromper la mort qu’on s’essaye constamment à la répétition ? Est-ce que c’est parce que l’endurance a une valeur morale ? Ce n’est pas très grave et c’est souvent inévitable, que des choses qu’on vit ne se répètent pas toute notre vie jusqu’à notre dernier souffle. À chaque fois qu’on a envie de forger une nouvelle habitude, on devrait sûrement se demander pourquoi : est-ce parce qu’aller à la salle de sport, si ce n’est pas deux fois par semaine toutes les semaines, ça ne compte pas ? Est-ce que c’est parce qu’on nous a répété petit·es qu’il ne faut pas abandonner, parce que ce serait un échec ? Ou parce qu’on en a vraiment envie/besoin, de cette régularité ?
Tout ça pour vous dire qu’à mon humble avis de diariste depuis longtemps, la régularité n’est pas obligatoire pour tenir un journal. C’est OK de ne s’en saisir que quand on se sent déborder. Je remarque que pour beaucoup de personnes à qui j’en parle, le fait de ne pas écrire tous les jours, d’oublier un jour ou deux ou sept, ça annule la validité de l’entreprise et fait abandonner le journal intime totalement. Une première étape pour se réconcilier avec (soi-même et) le journal, ce serait de ne pas se laisser avoir par ce mouvement de rejet.
J’oublie trois jours, et alors ? Tant mieux, peut-être, si ma vie a été assez remplie et mouvementée qu’en allant me coucher j’étais trop fatiguée pour la raconter dans un carnet. Ça reviendra sûrement, si je ne me ferme pas la porte en décrétant que puisque j’ai loupé trois jours, ça n’en vaut plus la peine.
Le journal n’a pas besoin qu’on remplisse les trous : j’ai loupé trois jours (trois semaines, trois mois…) mais rien ne m’oblige à les raconter quand je m’y remets. Oui, peut-être qu’ainsi, si je revisite mon journal dans 10 ans (ce que je ne suis pas obligée de faire), je ne saurai pas ce qui s’est passé dans ces interstices. Quelque chose me dit que si c’est absolument crucial, je m’en souviendrai et que ça colorera peut-être ce qui vient après, de toute façon.
En dernier lieu, un petit mot pour rappeler que tenir une habitude n’est donc jamais un gage de valeur morale, ce qui veut dire que ne pas réussir à, n’est pas non plus un signe de faiblesse. Plein de choses peuvent nous empêcher de nous tenir à des habitudes, même celles qui nous font du bien : maladies, handicaps, difficultés passagères ou chroniques, flemme.
Vive le roi
Il est cependant possible de s’entraîner à prendre une habitude, à créer une routine. Nombreuses sont les méthodes de développement personnel qui, en s’axant sur la répétition, vous promettent qu’au bout d’un moment, ce qui ressemble au départ à un effort n’en sera plus un, ce sera : une habitude, une “seconde nature”. On n’aura plus besoin d’y penser, ça se fera mécaniquement, quasiment sans s’en rendre compte. Je ne sais pas si c’est exact. Quand j’étais ado, j’avais l’habitude de me lever à 5h30 pour aller au collège. L’habitude ne me rendait pas le réveil moins douloureux, mais disons qu’elle avait entraîné mon corps et ma tête à considérer l’effort normal et surmontable. Et d’un autre côté, je ne sais pas si j’ai envie de faire la majorité des actions de ma vie quasiment sans m’en rendre compte. J’aime bien être présente aux gestes que j’accomplis. Mais je digresse.
Il existe quand même beaucoup d’outils aujourd’hui pour nous aider à créer une habitude, à nous rappeler des choses qu’on aimerait faire. Vous pourriez par exemple :
poser votre journal sur votre table de chevet, et écrire (1 page/10 lignes/10 min/1 ligne) juste avant d’aller vous coucher, ou tout de suite en vous réveillant
mettre une alarme sur votre téléphone, à une heure où vous êtes d’ordinaire disponible, pour vous rappeler d’écrire
si écrire tous les jours n’est pas dans vos cordes (quelle qu’en soit la raison), pourquoi ne pas inscrire dans votre agenda (électronique avec rappel, ou papier) un rendez-vous avec vous-même, une fois par semaine, ou par mois, pour faire le point ?
Quand j’ai commencé cette série en juin, en même temps que mon nouveau journal, j’étais dans une frénésie. J’avais besoin d’écrire tous les jours, une page et parfois plus, si je ne le faisais pas je me sentais bouillonner, j’avais du mal à m’endormir. Depuis deux ou trois semaines, mon diarisme est plus sporadique et moins bavard : j’écris tous les jours ou 2-3 jours, et beaucoup moins. C’est OK, pourquoi ça ne le serait pas ? Qui fait les règles ? Et même, pourquoi devrait-il y en avoir ?1
Oui mais j’ai pas le temps !
Je ne peux pas vous aider à rajouter des minutes au comptoir de la journée. Je peux vous resservir la sauce productiviste habituelle, à laquelle je souscris un peu-mais-pas-totalement : moi, il m’arrive de préférer écrire dans mon journal que de regarder une série. La plupart du temps, je préfère écrire dans mon journal que de faire n’importe quel tâche ménagère, et ça veut dire que je vis dans un endroit que je trouve assez agréable pour y être à l’aise et heureuse, mais je pense que ma grand-mère trouve ça sale et désordonné, par exemple. Mes priorités ont des conséquences, qu’il faut que j’assume.
Il y a toujours des questions de priorités, et si dans votre emploi du temps surchargé, la vôtre n’est jamais d’écrire dans un journal… c’est OK ? Je veux dire, je ne peux pas vous forcer. Si vous faites partie des gens qui, depuis le début de cette série, lisent péniblement ces newsletters en se demandant toutes les 3 phrases “mais… pourquoi… ??”, peut-être que vous n’avez pas besoin de journal intime et dans ce cas, pardon d’avoir perdu votre temps mais en même temps personne vous a forcé à lire jusqu’au bout.
Si, en revanche, vous avez vraiment envie de tenir un journal, alors il n’y a pas d’autre moyen que de trouver le temps. Ne vous dites pas “je vais écrire une page” si vous écrivez lentement, dites-vous plutôt “je vais écrire cinq minutes”, ou “le temps que mon thé infuse”, “que les pâtes cuisent”. Vous verrez bien au bout du temps imparti si vous avez envie de trouver le temps de continuer.
Je crois que je n’ai plus de conseils à donner. Alors juste : prenez ce satané carnet, trouvez un crayon et écrivez, nom d’une pipe.
À bientôt ! Belle fin d’été.
Pauline
PS : pour aller plus loin, excellents échos à tout ce que j’ai raconté ici dans la dernière lettre d’Émilie Deseliène.
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À noter que, comme toute écrivaine qui se respecte, je pense qu’il est plus facile de casser les codes quand on les a compris, et que pour certaines personnes, il sera plus facile de dire nique à la routine une fois qu’elles l’auront un peu intégrée, et compris jusqu’à quel point elles peuvent la lâcher.
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