Été suspendu et trous du 🍑
(surprise !)
Salut,
Puisque mon enfant ne se décide pas à naître en avance (je sais, c’est beaucoup en demander à un bébé), je me retrouve à ronger un peu mon frein. La fin de grossesse est un moment particulier où tout le monde te répète à l’envi “Profites-en bien pour te reposer tant que tu le peux hein !” avec force wink wink nudge nudge, alors que rien n’est moins évident que le repos. Insomnie, postures toutes inconfortables, impatience généralisée : c’est paradoxal, je n’ai jamais été aussi peu reposée tout en n’ayant pas grand-chose d’autre à faire qu’essayer. C’est peut-être ce qui rend le tout aussi frustrant, aussi. Bref, je viens de valider une commande Carrefour et je me suis dit que plutôt que retourner scroller Instagram indéfiniment sans y trouver aucune satisfaction, j’allais venir vous écrire. Après tout, c’est la rentrée, non ?
Parce que pendant mes insomnies, je scrolle. Et je me suis découvert une passion dévorante, qui a envahi presque l’intégralité de mon onglet Explore1 : les AITA. Ils fleurissent sur Reddit, les posts Am I The Asshole2, et les comptes Insta spécialisés dans la capture d’écran sont légion aussi. Me voilà donc, à 3 heures du mat’, les yeux injectés de sang, à lire des tranches de vies racontées avec une grande subjectivité, et cette question lancinante : suis-je une personne de merde ?
Mon mec pense que pour beaucoup de récits, l’intention derrière le partage est de se faire bien voir. Un petit ego boost ou trip, parce que dans ces histoires — la majorité de celles que je croise —, le/la narrateur·ice est clairement NTA3, voire même une très bonne personne, quand iel a défendu son enfant handicapé ou LGBT face à une injustice flagrante, quand iel a tenu tête à une mariée zinzin (j’adore les Bridezillas et leurs desiderata improbables), ce genre de trucs. Il y a une certaine maîtrise de la narration, car dans bien des cas, le titre du post Reddit est artistiquement façonné pour qu’on se lance dans la lecture avec une réponse toute faite, souvent YTA4, mais il y a en réalité un contexte savamment tricoté, qui vient transformer le récit et le nuancer, voire héroïser notre OP5.
Il y en a quelques uns quand même qui sont fabuleux : OP est manifestement TA, et c’est souvent un vieux gars qui traite mal une jeune meuf, et alors je me régale en lisant. Car même quand le posteur est un gros con, il va évidemment rédiger son post de manière à se présenter sous le meilleur jour, et il y a quelque chose de délicieux dans ces tentatives infructueuses.
Exemple avec ce post, où le posteur demande s’il est un connard parce qu’il refuse que sa femme, pour l’instant mère au foyer depuis la naissance de leurs jumeaux, prenne un taf qu’elle décrit comme “le job de ses rêves”. Il argumente : ça ne leur ferait pas gagner beaucoup d’argent puisqu’il faudrait payer la garde des enfants, et ce serait super égoïste parce que d’ailleurs, les enfants n’aiment pas la crèche, ils sont bien mieux à jouer avec leur mère et les enfants du voisinage.
On le sent, qu’il ne voit pas où est le problème dans le récit qu’il tisse, qu’il ne se rend pas du tout compte qu’il a l’air tout droit sorti des années 50. Le narrateur tente de maîtriser le récit, mais ne parvient pas à manipuler le lectorat. (Et il s’en prend plein la gueule, c’est savoureux.)
Comment peut-on être aussi aveugle à soi-même ? est une question que j’aime me poser. Par exemple, je me demande souvent si Darmanin sait qu’il est TA, qu’on est des milliers à le détester, et ce que ça lui fait s’il le sait. S’il s’en fiche, est-ce que ça fait de lui un sociopathe ? S’il l’ignore, comment peut-il l’ignorer ? Ça va de pair avec ma peur panique d’être The Asshole sans m’en rendre compte : je serais bien capable de me torturer l’esprit sur une situation jusqu’à aller poster sur le reddit dédié, si je n’avais pas la hantise que la réponse ne me plaise pas.
J’y pense aussi devant une vidéo de Sandrine Rousseau sur je ne sais quel plateau, que j’ai vue passer sur Twitter sans le son (je n’ai lu que les sous-titres). Elle revient sur la polémique qui secoue tout le paysage médiatique français, quand elle a eu l’audace de dire que le barbecue était une pratique à la fois polluante et masculine6, et elle s’énerve. Elle en a ras-le-bol, elle le dit, je la vois froncer les sourcils et ses traits se durcir, et puis un contre-champs sur la présentatrice (que je ne connais pas), qui arbore un sourire goguenard à s’en décrocher la mâchoire.
La meuf se fout de sa gueule.
Et je suis hantée depuis que j’ai vu cette vidéo : comment la présentatrice peut-elle afficher ce sourire moqueur comme ça, en toute décontraction ? Sait-elle qu’elle a l’air d’une odieuse connasse ? S’en fiche-t-elle ? S’est-elle oubliée, pensait-elle à autre chose, ou trouve-t-elle réellement hilarant qu’une femme soit en colère parce qu’on va tous crever la peau craquante comme des poulets grillés, si on continue dans cette direction ? Qu’est-ce qu’il y a de drôle, bordel ?
Si cette présentatrice décrivait la scène dans un AITA, je pense que tout le monde lui répondrait que oui. Est-ce qu’elle accepterait la sentence ? Certain·es OP le font, éditent leur post pour dire qu’iels ont réfléchi et compris les arguments avancés par le camp des YTA, et qu’iels vont agir en conséquence pour s’améliorer. Ce n’est pas fréquent, mais cette forme de contrôle social par les pairs me fait sourire. C’est qu’il est donc possible de se remettre en question, même face au jugement d’anonymes pseudos sur Internet.
Je vais pas aller jusqu’à espérer que Darmanin se remette en question, je suis certes en manque de sommeil mais pas totalement délirante non plus. Et j’avais l’ambition de vous parler d’autres choses, de mes lectures, des séries que j’ai regardées ces dernières semaines en attendant ma fille, mais cette lettre est aussi confuse qu’interminable alors je vais juste l’arrêter là. Et je vais aller méditer sur un truc mortifiant que j’ai fait et qui mériterait un post sur AITA (ça doit être une situation datant d’il y a six ans et que mon cerveau aime bien refaire popper à chaque insomnie pour que je passe un super moment en tête-à-tête avec mon angoisse existentielle).
Je vous souhaite de ne pas être souvent The Asshole et si vous l’êtes parfois, d’avoir le courage de le reconnaître (ça pique toujours, c’est normal). Je vous souhaite aussi un mois de septembre un peu moins chaud, un peu plus pluvieux, mais doux quoi qu’il arrive. On se dit “à bientôt”, sans savoir quand, c’est ça qui est beau.7
La bise,
Pauline
Adieu, photos de Tom Hiddleston, qui sont de plus en plus rares… Snif.
“Suis-je le connard/la connasse de la situation ?”
Not The Asshole
You’re The Asshole
Original Poster, la personne à l’origine du premier post qui ouvre le sujet sur le fil Reddit.
C’est par ailleurs un fait tout ce qu’il y a de plus solide, ça fait depuis 2016 minimum avec la parution de La politique sexuelle de la viande (C. J. Adams), qu’on a des ressources solides en français sur le lien entre consommation de viande et masculinité. Plus récemment et plus accessible peut-être, voir Steaksisme de N. Bouazzouni.
Enorme méthode Coué de ma part, de me répéter chaque matin que ne pas savoir exactement quand je vais accoucher fait partie de la beauté du truc. Je n’en peux plus tellement, figurez-vous.