Curly Girl
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Salut,
Cette semaine, j’ai acheté le vaporisateur pour cheveux que tout l’Instagram cheveux bouclés (que j’ai renommé pour l’occasion, l’Instacurly) s’arrache. Il a un design un peu particulier que je n’avais jamais vu avant, c’est le dernier produit de drop-shipping à la mode j’ai l’impression. Et toutes les marques se sont mises à commercialiser leur « propre modèle » floqué de leur logo, à des prix aléatoires, pendant que sur Amazon ça se vend comme des petits pains avec des avis clients allant de « ce produit a changé ma vie et je le lèguerai à ma descendance » à « il est arrivé déjà utilisé, et il a cassé au bout de 3 pressions sur la gâchette ».1
C’est pas pour chier sur ledit vapo, parce que c’est vrai qu’il est super, et qu’il double en vaporisateur à plantes tropicales avec brio : 15 euros finement dépensés, j’ai trouvé, tandis que je l’actionnais au-dessus de mes boucles brouillées par une nuit de sommeil. Ça faisait 2 ans que je cherchais un vapo pour mes cheveux sans trouver ce que je voulais. Je l’ai déballé comme le Graal. Je suis devenue moi-même une Instacurly.
Je suis la seule frisée de ma famille. Ça veut dire que rien ne m’a préparée à m’occuper de mes cheveux correctement. J’ai passé de très longues années à les brosser à sec (effet mousse assuré), à essayer de les lisser pour les dompter, à n’être jamais satisfaite en sortant de chez la coiffeuse, à ne pas comprendre l’intérêt de l’après-shampoing, et à avoir, globalement, une sale tête. Je disais que je m’en fichais, mais en fait, c’est surtout que j’étais démunie. Je ne trouvais aucune info sur comment prendre soin de ma tignasse, d’ailleurs je ne l’avais jamais vue au max de son potentiel, alors j’en avais déduit qu’elle était moche et que ça faisait partie de mon lot.
Fast forward to : le mouvement nappy. Clairement, si les Blanches comme moi peuvent avoir de meilleures boucles, c’est d’abord parce qu’il y a eu des femmes noires pour faire le taf de reprendre le pouvoir sur l’histoire que racontent les cheveux afro et crépus. La démocratisation du savoir prendre soin de cheveux bouclés, c’est elles. Après des siècles de dénigrement du cheveu afro naturel, il y a eu l’arrivée sur le marché de produits de défrisage extrêmement toxiques provoquant entre autres des brûlures ou de l’alopécie. Le cheveu crépu est vu comme sauvage, indomptable, et sans même parler des coiffures afro qui ont eu une belle popularité aux États-Unis notamment dans les années 60 pendant le mouvement des Black Panthers, les coiffures comme les dreadlocks ou les tresses sont vues comme peu professionnelles et pas soignées. Il faudrait alors tout faire pour rentrer dans la norme imposée par la blanchité, et ça cause de nombreux dégâts. Au bout d’un moment (on date le début du mouvement pour le cheveu naturel aux années 2000, quand les produits de défrisage connaissent leur boom dans les années 90), les Noir·es et notamment les femmes noires disent stop.
Et il faut alors (ré)apprendre à prendre soin de cheveux auxquels personne (= la société suprémaciste blanche) ne pense jamais. Grâce à Internet, la transmission se fait tellement plus facilement qu’avant. Désormais, il suffit de taper “cheveux bouclés” sur n’importe quel moteur de recherche pour accéder à des questionnaires pour connaître son type de boucles, une infinité de produits sont disponibles, sans parler des accessoires qui vont préserver la boucle, la fibre capillaire, stimuler la pousse, protéger les pointes, etc. Le capitalisme s’infiltre par là, bien entendu, mais en même temps, les cheveux, c’est important pour beaucoup de monde. Même les hommes ont le seum de perdre les leurs…
Évidemment, je n’ai jamais subi une once du racisme et de la misogynoir qui ponctue les remarques sur les cheveux afro ou crépus. On ne peut quand même pas dire que le monde a été tendre avec mes boucles et mes frisottis. Je crois que le dernier affront en date, il remonte un peu, c’était une meuf qui avait “elle aussi” les cheveux bouclés (pas autant que moi quand même), mais qui les coiffait d’une telle manière que pas un cheveu ne dépassait. Moi, j’avais toujours un aura de frisottis autour de mon visage : je ne maîtrisais pas les besoins de mes cheveux, je ne savais pas qu’ils allaient partir à la recherche d’eau s’ils n’étaient pas suffisamment hydratés. La nana, pensant peut-être créer un lien entre nous, m’a dit à notre première et unique rencontre : “Ahah, moi aussi avant j’avais des poils de cul sur le crâne.”
Je vous jure, j’ai rarement autant bugué dans ma vie. Toutes les années à être appelée “le chou-fleur” à l’école primaire me sont remontées dans la face, et j’ai rougi de honte. C’était donc à ça que je ressemblais, bien bien bien…
Quant aux passages dans les salons de coiffure, j’ai toujours été ébaubie que tant de professionnel·les du cheveu ne sachent s’occuper que des cheveux raides à vaguement ondulés. On vous apprend quoi à l’école, les gars !!, ai-je toujours envie de hurler. Des années à me faire lisser les cheveux pour un résultat hyper triste (spoiler : la vie m’a dotée d’un visage de frisée, les cheveux lisses me donnent l’air d’un long chien dépressif), voire à venir avec des photos de références de coupes bouclées pour qu’on me brushe les cheveux avant de les re-friser au fer ensuite, et de s’étonner que la boucle tient mal.2
Bref, moi, j’essaye de prendre mieux soin de mes cheveux tant bien que mal, et puis en 2020, juste avant la fin du premier confinement, je décide de me raser la tignasse. Je veux en finir, au moins temporairement, avec la pression que je ressens autour de ce qui fait une grande partie de mon identité, ce qui me rend autant “femme” aux yeux des hommes aussi. Je veux voir quelle tête j’ai, sous la masse de boucles. Et quelle tête ont mes cheveux, quand ils repoussent libres de tout produit, de toute influence. Je n’ai jamais regretté d’avoir tout rasé, mais je ne le referais pas (je crois, faut jamais dire jamais, il paraît). J’ai vite compris dans l’attente de la repousse que oui, même imparfaite et même mal-aimée, la boucle me caractérisait. Mon reflet dans le miroir était amputé d’un truc essentiel, je me manquais. Je me suis fait la promesse que dès qu’ils auraient à nouveau atteint une longueur qui leur laisse leur mouvement naturel, j’allais prendre soin de ces cheveux comme jamais.
J’ai investi (je le pouvais enfin, quelques années auparavant l’idée de dépenser 20 balles dans un produit coiffant m’était inaccessible : c’est aussi ça la réalité), j’ai regardé des vidéos, fait les questionnaires, testé les trucs. J’ai même acheté un sèche-cheveux, tiens, parce qu’en fait c’est vrai que c’est carrément mieux pour que les boucles sèchent en restant bien formées. Et j’ai pris conscience que même si les meufs dans les tutos dont la texture de cheveux ressemble le plus à la mienne sont bien des Blanches, tout ce puits de science est la suite logique et généreuse du travail de réappropriation et de retransmission des femmes noires.
Ça me fait penser, dans une certaine mesure, à la réappropriation du mouvement bodypositive par des meufs bien minces et bien normées. On parle à la base d’un mouvement pour que les corps gros ne soient plus marginalisés et stigmatisés, et maintenant ce sont celles qui me font complexer qui diffusent des messages décomplexants en montrant leurs corps que moi j’identifie comme “parfaits” tout en parlant de leurs difficultés à accepter leur propre image. Évidemment, on peut être mince et avoir des complexes, c’est malheureusement ce que nous inflige le patriarcat et ses standards impossibles. Mais ça doit être fatigant, quand on est grosse, qu’on ne trouve pas à s’habiller en magasin, à s’assoir dans certains transports en commun, quand la société refuse qu’on existe,3 refuse de nous entendre, de nous soigner, de voir des meufs au physique accepté et même loué, débarquer éplorées dans les espaces qu’on s’était créés à l’origine pour revendiquer des droits.
Le bodypositivisme a été grandement dépolitisé par ce phagocytage. Perso, je reste carrément dans les normes, mais quand je vois une meuf en maillot de bain taille 36 parler de ses bourrelets en soulignant le courage qu’il lui a fallu pour les afficher alors que moi je vois tout au plus des plis de peau, j’avoue que je souffle du nez et que je lève les yeux au ciel. Un peu idem avec le no-bra porté majoritairement par des personnes à la toute petite poitrine,4 ou les chantres du poil libre qui sont blondes et presque glabres.
Je me demande à quel point les meufs blanches bouclées qui semblent réinventer la roue de la connaissance capillaire à chaque reel5 paraissent aussi reloues, aussi envahissantes, aux pionnières du cheveu frisé.6 En tout cas, je les remercie, ces pionnières, parce que grâce à ce qu’elles ont initié, je suis maintenant super fière de ma chevelure, et j’adore en prendre soin. Alors que, franchement, c’était pas gagné.
À plus,
Pauline
Pour celleux que ça intéresse, j’utilise ces produits (rien de sponso et je vais pas m’embêter à créer des hyperliens, mais en général ça intéresse) : chez Bouclème, l’après-shampoing Curl Conditioner, la crème sans rinçage Curl Cream et le gel Curl Defining Gel. Chez Lush, le baume Revive. Chez Les Secrets de Loly, la gelée capillaire Boost Curl. J’utilise un shampoing pour cheveux gras d’Yves Rocher (je trouve que le shampoing n’a pas un grand impact sur le résultat). Je n’utilise plus de produits zéro-déchet et 100% naturel depuis que ça m’a cramé le cuir chevelu en 2018 et que je suis pas venue pour souffrir oké. J’ai une peigne à larges dents acheté en supermarché pour démêler à sec, et une brosse Tangle Teezer Original pour démêler au lavage. Le vapo magique, je l’ai pris chez La Belle Boucle. Et j’utilise un vieux T-shirt 100% coton en guise de serviette pour me sécher les cheveux. Ma Instacurly préférée est @curlykiet, je trouve ses cheveux magnifiques.
Ça me fait penser à cette vidéo qui me fait beaucoup rire, et beaucoup douter des avis clients sur Amazon…
Depuis presque 10 ans, j’ai trouvé une coiffeuse formidable qui n’essaye pas de changer ma nature de cheveux pour la faire rentrer dans les catalogues, et ça change quand même la vie.
Entre les enseignes qui ne taillent plus après le 42 – on rappelle que la taille moyenne des femmes en France est le 40-42 – et celles qui se disent “inclusives” et s’arrêtent au 46, on n’est pas sorties des ronces, sans parler des mannequins “plus-size” qui ne font du 44 que parce qu’elles font 1m85 et qu’elles ont des formes, restant totalement dans les normes de silhouettes attendues…
Moi aussi je trouvais ça fastoche le no-bra quand je faisais du 85B… maintenant que je fais du 110D, c’est pas la même limonade, eh.
Un peu hallucinée, maintenant je vois qu’il est possible de manquer de protéine dans son cheveu ? Mais aussi d’en avoir trop ? Comment faire la différence, je ne sais pas encore.
Puisque, je vous avoue tout, je pouffe un peu quand je vois des meufs aux cheveux ostensiblement raides adopter des gestes et des routines “curly” pour obtenir des ondulations timides et les révéler à grand renfort de avant/après montés de manière spectaculaire. Je suis une sale snob, je vous le dis tout de go.