Cher journal,
Le journal intime 1/3 : pourquoi, comment ?
Salut,
Cette semaine, j’ai terminé un journal intime et j’en ai commencé un autre. Ça m’a donné envie de savoir si les gens d’Instagram tenaient un journal, et si non malgré un attrait pour la chose, pourquoi. J’ai posé la question et j’ai tenu le compte des réponses (pas dans mon journal, dans mon Carnet d’idées1). Ça m’a donné envie de parler de journal plus longuement, pour aborder tous ces points, parce qu’avant je n’avais pas de journal, mais depuis environ 8 ans j’en ai un, et je n’imaginerais plus ma vie sans. J’ai donc décidé de dédier les 3 prochaines newsletters – enfin, celle-ci et les 2 suivantes – au sujet.
Un journal, ça sert à quoi ? On raconte quoi dedans ? Et si on écrit mal, ou des choses banales ? Et si quelqu’un nous lit ? Et si on rate un jour, ou deux ou douze, on qu’on n’a pas le temps ? On fait quoi quand on a fini 1, 3, 5 journaux ?
Je parlerai de tout ça, et sûrement d’autres choses, et d’ailleurs je vais commencer tout de suite, sans plus attendre.
À quoi bon ?
Je pense qu’une bonne partie du mépris qu’on adresse à l’activité du journaling, mot qui n’a d’ailleurs je crois pas d’équivalent dans le dictionnaire français, tient du fait qu’on voit ça comme une activité enfantine, à la rigueur, adolescente. Ce qui voudrait dire en gros qu’une fois adulte, il faudrait savoir se passer de journal : ce serait un objet transitionnel tout autant qu’un loisir puéril. Être adulte, ce serait être in-dé-pen-dant.
Enfant puis ado, j’ai eu des journaux intimes, de ceux Diddl à cadenas jusqu’aux petites merveilles électroniques qui s’ouvraient à la reconnaissance vocale (??? quelle idée), sans pour autant que ça devienne une habitude chez moi à ce moment-là. Je fétichisais les objets, écrivais deux jours, raturais des pages, puis oubliais puis détestais le manque de continuité. En gros, je rassemblais beaucoup des freins soulevés par les personnes qui ont répondu à ma question.
C’est plus tard, j’ai envie de dire au passage à l’âge adulte, que j’ai réinvesti l’objet et la pratique, les deux étant désormais profondément ancrés dans mon quotidien, et indispensables à mon bien-être. (Vous noterez que j’ai dit bien-être, et pas pratique de l’écriture et on y reviendra.)
Après avoir discuté avec des ami·es, journaleurses ou justement pas, j’en suis venue à la conclusion que le besoin de tenir un journal vient peut-être de la manière dont on parvient à articuler sa pensée. Moi, par exemple, j’ai besoin d’écrire pour comprendre ce que je pense et comment. Ça m’est apparu évident en écrivant Moi les hommes, je les déteste, puis Avortée : je ne savais pas que j’avais tout ça à dire, parfois je ne savais même pas que telles étaient mes opinons, avant de m’être assise et d’avoir pris le temps d’articuler ma pensée dans l’acte d’écriture. Certaines personnes n’ont pas du tout besoin d’écrire pour ça. La parole ou la pensée silencieuse suffit. Je ne sais pas comment ça se passe pour elles, si vous en êtes, c’est peut-être pour ça que vous ne comprenez pas l’intérêt d’un journal, et que la pratique si vous l’avez commencée, vous semble ne rien vous apporter.
Et je tiens à préciser, pour la seconde et pas pour la dernière fois, que selon moi, ça n’a pas grand-chose à voir avec le fait d’écrire, d’aimer écrire, d’être à l’aise avec l’écriture. Je connais des gens qui écrivent des romans et qui n’ont pas de journal. Et je connais des gens qui n’écrivent pas de littérature, juste leur journal. Le journal se tient plus, à mon avis, dans l’acte de pensée que dans l’acte de littérature. Encore une fois, j’y reviendrai plus (spoiler : dans la partie “oui mais j’écris mal”).
Alors à quoi me sert mon journal ? En quelques mots : il me garde fréquentable.
Acceptation et traitement du narcissisme
Il m’a fallu un peu de temps pour le reconnaître en face et finalement, je n’ai pas honte de le dire : j’ai, comme beaucoup de gens au fond, une certaine tendance au narcissisme. Je ne suis pas totalement désintéressée d’autrui, au contraire, aussi je ne pense pas que ce soit pathologique ou répréhensible. Mais il est vrai que j’investis beaucoup d’attention envers moi-même. J’ai besoin de passer beaucoup de temps seule (c’est-à-dire, en compagnie de ma propre personne), de passer du temps à revenir sur ce que j’expérimente, traverse, conquiers, sur mes doutes, mes joies, mes échecs, bref, j’ai besoin de me comprendre.
C’est pour ça que je continue ma thérapie même si je ne suis plus en période de crise dépressive, et c’est pour ça que je tiens un journal.
Si je n’avais pas de journal, je pense que je passerais encore plus de temps à parler de moi à mon entourage. Je suis cette meuf qui envoie des textos parce qu’elle a failli se faire renverser par une voiture, parce que le magasin est fermé alors qu’il était censé être ouvert, parce que l’enfant a dormi beaucoup ou trop peu, parce qu’elle est fatiguée, triste, en colère, heureuse. Je prends déjà beaucoup d’espace dans la vie de mes proches. Sans mon journal, je passerais de “personne présente qui sait prendre autant que donner” à “horrible monstre égotique qui ne parle que d’elle”. Dans mon journal, je ne parle que de moi. Avec moi-même. C’est super.
Aujourd’hui, il a fait beau, j’ai été heureuse, j’ai mangé des cerises
Voilà à peu près ce que je raconte dans mon journal.
Très pratico-pratiquement, toutes mes entrées commencent pareil :
Date + heure (lieu optionnel, si ce n’est pas “chez moi”) — Aujourd’hui,
Et je raconte ma journée.
Il m’arrive de ne pas écrire pendant plusieurs jours (on y reviendra), de ne pas avoir le temps ou l’envie de raconter toute ma journée (on y reviendra). Il m’arrive surtout, parce que c’est ainsi que mon cerveau fonctionne, de commencer à raconter ce qui me tient le plus à cœur (pèse dessus, ou le fait vibrer, c’est selon) et que cela diverge, amène d’autres choses, des souvenirs, des opinions, une anecdote… sans que je l’aie prévu, l’aie vu venir. Écrire dans mon journal a quelque chose de l’écriture automatique. Je ne prévois pas, ne censure rien, n’ai qu’une règle : être honnête avec moi-même, ce qui veut dire parfois écrire un truc et le rater, écrire un truc et ajouter tout de suite après “j’ai écrit ça pour renvoyer une meilleur image, en réalité…”, écrire un truc et aller plus profond, creuser, encore.
Pour moi, le journal est un objet thérapeutique, et son écriture relève de l’auto-analyse.

Se délester du moche et cultiver le beau
Il sert à contenir ce qui autrement déborderait. C’est d’ailleurs pour ça que souvent, on ne va écrire que lorsqu’on va mal : c’est alors qu’il est le plus compliqué de trouver oreille où déverser son trop-plein, une oreille qui ne chercherait pas à régler l’insoluble, mais qui serait quand même 100% connectée à notre récit. Perso, la meilleure oreille pour moi dans ces cas-là, c’est moi-même. Parce que mon journal ne va pas checker son tel en plein récit, ghoster mes textos, me dire “oh ça va c’est pas si pire”, il est mon premier allié pour vomir tout ce qui est le plus triste et le plus moche.
Ça pourrait donner un ramassis de tristesses et de désespoirs. Ce ne serait pas forcément grave, sauf si je voulais me relire, auquel cas je n’aurais laissé trace que de mes moments difficiles, et me donnerait à la relecture l’idée que toute ma vie n’est que lamentations. C’est également un aspect qui tient les personnes qui se servent de l’écriture comme thérapie, éloignées du journal qu’on tient, garde et revisite. Je partagerai avec vous dans un autre volet de cette série ma technique de revisite du journal intime, et vous livre déjà son plus lourd et impopulaire secret : je ne pense pas que le journal intime doive être lu. Non, même pas par la personne qui l’écrit.
Pour finir ce volet-ci, je dirai que l’écriture thérapeutique qui nourrit mon bien-être doit passer, sans détour possible, par l’exorcisme de ce qui est douloureux. Et une fois cela fait, il doit y avoir, toujours, de la place pour ce qui est un baume. Au début, je me forçais, en m’inspirant de diverses techniques : inscrire une gratitude par jour, ou 3 kifs par jour (à la manière de Florence Servan-Schreiber), ou, les jours gris sans énergie, faire une courte liste comprenant 1 chose nulle, 1 chose chouette et 1 victoire. Maintenant, l’écriture du beau et du bon me vient plus naturellement, l’immortaliser dans le journal n’est plus un exercice mais un prolongement de ma pratique.
Dans le prochain épisode, qui arrivera le mois prochain, j’attaquerai la question qui me rend le plus zinzin quand on parle de journal : celle de l’autocensure et de l’autojugement. Dois-je bien écrire pour tenir un journal ? (Au cas où ce n’était pas clair déjà : je pense que ce n’est pas la question, mais je pense qu’il faut l’aborder quand même pour pouvoir s’en détacher. Et j’ai bien hâte de le faire.)
Si vous voulez vous lancer dans l’écriture d’un journal avant la fin de cette série, je vous recommande de choisir un carnet sobre mais qui vous plaît à l’œil, adapté à votre manière d’écrire (si vous êtes prolixe et/ou écrivez grand, préférez un format B5 ou A5 et évitez les réglures trop serrées), pas trop cher pour ne pas vous bloquer, et surtout, surtout : d’arrêter de trop réfléchir.
Prenez soin de vous !
À bientôt,
Pauline
Vite, vite, découvrez vous aussi cet atelier qui a changé ma vie et ma manière de l’archiver.