Category: M/M
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Salut,
Il fait chaud, c'est l'été, porter des vêtements est de plus en plus compliqué (pour moi, en tout cas, perso je vivrais bien nue dès qu'il fait plus de 26°C), et la bouche en cœur, je viens vous parler de sexe. Si c'est un sujet qui vous met mal à l'aise, n'hésitez pas à vous arrêter là, mais promis ça restera tout à fait safe for work.
Mardi avait lieu la deuxième session de l'atelier d'écriture Rébellion avec Six Cent Soixante Simones, et pendant cet atelier, une participante a écrit un chouette plaidoyer sur le droit d'aimer lire des fanfictions. Mon cœur a gonflé d'un grand amour, parce que la fanfiction, c'est très certainement ce qui m'a amenée à l'écriture. Petite Potterhead qui ne pouvait attendre entre deux tomes de sa saga préférée, puis grande Potterhead en deuil après la publication du dernier opus, j'ai écumé les tréfonds de Fanfiction(.)net, j'y ai laissé des traces aussi. Et à un moment donné, inévitable ou presque, je suis tombée sur les fanfictions érotiques.
Parlons peu, parlons bien : je ne regarde pas de porno... mais j'en lis. Ça fonctionne mieux avec mon imaginaire, et c'est aussi le résultat d'un truc très pratico-pratique. À l'âge où j'ai commencé à “m’intéresser au sexe”, le porno audiovisuel disponible était encore moins calibré pour les filles et les femmes, a fortiori queer, qu'aujourd'hui. Ce n'était pas un espace sécurisant pour moi, pour de nombreuses filles de ma génération, et quand on disait "le porno c'est dégueulasse et avilissant", ce n'était pas très loin d'être la vérité. Aujourd’hui on dit “le porno mainstream”, c’est la seule chose qui a changé.
Alors l'écrit, comme il est si bien dit dans l'épisode du podcast Disclaimer que j'ai écouté en préparant cette newsletter, c'est tout bénéf'. Pouvoir explorer sa/les sexualité(s) sans être confronté·e à des images parfois trop violentes et sans ressentir de pression vis-à-vis d'un·e partenaire, c'est ce qui me correspondait le mieux. Et moins j'étais hétéro, plus je me suis tournée vers la fanfiction (érotique, mais pas que) gay.
Elle a quelque chose de fascinant, la fanfiction érotique gay. Elle met en scène deux personnages masculins qui ne sont pas du tout ensemble dans l'œuvre originale1 et elle leur fait développer une relation, sentimentale et/ou sexuelle, mais elle est le plus souvent écrite par des femmes, pour des femmes. N'étant pas un homme qui aime les hommes, je me suis souvent demandé ce qui me plaisait dans ces récits assez éloignés de ce qui me fait vibrer dans la vraie vie.
Il faut revenir aux représentations des relations dans la pop culture en général, qui jusqu'à très récemment et seulement si on sait où regarder, étaient centrées sur cette idée que les hommes désirent uniquement des femmes, et que les femmes désirent être désirées. On remarque là un très grand déséquilibre, où les femmes ne sont pas actives dans leur sexualité et dans leurs désirs.2 À partir de là, il n'y a pas de corps masculin désiré, et les seuls espaces où on va pouvoir le retrouver, c'est dans les narrations gays. Indéniablement, il est plus facile de trouver un porno gay érotisant les hommes qu'un porno hétéro faisant la même chose, et en fanfiction érotique, c'est un peu pareil.
Moi, j'aime les filles et les garçons. Mais dans une société hétéronormée, c'est carrément facile de trouver des récits qui vont me permettre de me mettre (temporairement et malhabilement et inconfortablement3) à la place du spectateur masculin hétéro qui désire les femmes, pour qui l'immense majorité des œuvres culturelles est écrite. En revanche, pour trouver des récits qui vont dépeindre une femme désirant des hommes et des corps masculins, il faut se lever tôt et marcher loin.
Si la maternité des fanfictions érotiques gays est importante, c'est parce qu'elle souligne aussi la manière de parler de désir entre deux personnes. On trouve dans (la majorité de) ces récits aux protagonistes masculins toute la vulnérabilité qui existe probablement toujours entre deux personnes qui se désirent et qui couchent ensemble. Et ça, à mon humble avis misandre, les auteurs masculins y parviennent souvent moins bien que leurs comparses féminines. Dans les fanfictions qui ne sont pas que du cul, il y a de la drague, des moments hésitants, des peaux qui se frôlent et des souffles qui se font courts, des doutes et des regards, beaucoup de regards.
Il y a quelque chose d'une radicale douceur dans une description située, d'un personnage masculin qui observe le sujet de son désir et réalise pour la première fois quels traits physiques le font chavirer, quelles expressions faciales rendent ses paumes moites, quels tics gestuels font fondre ses entrailles. Parce que d'habitude ce qu'on voit, c'est un homme qui prend une femme : il se l'approprie, sans qu'on sache grand-chose de ce qui l'a fait trembler lui, et sans qu'on puisse manquer de trouver que la femme dans l'histoire, devient une chose. Rares sont les récits qui laissent la place à deux choses fondamentales pour moi dans l'érotisme et la sensualité, à savoir la vulnérabilité de reconnaître les formes de son désir, et la description désirante de corps qui ne sont pas réifiés.
Comme dans beaucoup de dynamiques de genres, il y aurait à gagner à équilibrer les choses pour que les femmes ne soient plus sexualisées pour un téton qui pointe ou une jupe courte4, et pour que les hommes réalisent qu'ils ont un corps et qu'il peut être érotique aussi. Ça me fait penser aux memes sur les nudes, ces photos sexy qu'on s'envoie pour se chauffer. Là où les nudes féminins peuvent être suggestifs, sensuels voire artistiques, les nudes masculins sont souvent très décevants pour leurs destinataires, à grands coups de flashs disgracieux et d'angles peu flatteurs.
Alors voilà, moi j'aime bien lire des histoires d'hommes qui s'aiment et se désirent, et ces récits ont sûrement influencé ma propre manière d'écrire. Il y a une très courte scène de sexe dans mon roman, et ça n'a pas été la plus facile à écrire — au contraire, même. J'avais peur de rentrer dans tous les clichés insupportables du genre (il n'y a pas grand chose de pire qu'une scène de cul mal écrite), alors j'ai trouvé une manière de faire à ma façon, pour que ça me plaise aussi à moi. Mais j'ai surtout beaucoup aimé écrire un personnage d'homme qui désire, est désiré, un homme vulnérable et doux. Ça change.
Si ça vous tente, je vous conseille très fort de lire Le Chant d'Achille, de Madeline Miller : rien de moins qu'une fanfiction extrêmement bien écrite sur Achille et Patrocle, avec du désir, du sexe et de l'amour, le tout à une époque où donc, les hommes étaient fort peu vêtus.
Je vous souhaite un bel été pas trop chaud (mais un peu caliente si vous aimez ça), et je vous dis à bientôt,
Pauline
dernière lecture en ligne : corps masculins invisibles et érotisme //
derniers livres sur ma liste : Where The Crawdads Sing (D. Owens) / En silence (A. Spiry) / L’été de la sorcière (Nashiki K.) / Deux ou trois choses dont je suis sûre (D. Allison) //
C'était la dernière newsletter gratuite de la saison. Pour les inscrit·es, on se retrouve donc le 15 août pour une nouvelle saison d'infolettres dominicales et gratuites. Pour les abonné·es, le programme est différent (donc si je vous manque, n'hésitez pas à vous abonner), et je vous le livre ci-dessous pour que ce soit plus clair :
On n'a vraiment pas grandi avec pléthore de représentations gays et LGBT+ tout court, il a bien fallu qu'on les invente.
D'ailleurs, Pauline Verduzier en parle chouettement dans son livre Vilaines filles, paru aux éditions Anne Carrière.
Et on est d'accord, je préfèrerai toujours un female gaze à la Portrait de la jeune fille en feu.
Au fond, ce qui devrait rendre une situation sexuelle, c'est que toutes les personnes impliquées soient d'accord pour ça. Et aucune femme qui a les tétons qui pointe dans la rue n'est automatiquement OK pour le sexe, en fait.