"Avortée" : premières pages
Et premières dates de rencontres !
Salut,
Sans plus de préambules, voici les premières pages d’Avortée, une histoire intime de l’IVG, qui sort aujourd’hui aux éditions Daronnes.
Avant-propos
C’est une déformation professionnelle : quand j’ai avorté, j’ai su très vite que j’allais avoir envie et besoin d’écrire sur tout ce qui s’était passé. Tout ce qui se passait encore. Il m’a fallu du temps pour comprendre ce que j’avais entre les mains — un récit personnel traversé de réflexions — et ce que je ne pouvais pas faire — prendre un livre pour un journal intime. Ça n’a pas été facile parce que l’avortement, c’était pour moi précisément ce fil du rasoir. Tant d’intimité, tant d’émotions, à la portée éminemment politique.
Une autre déformation professionnelle, c’est me demander souvent qu’est-ce qu’on raconte, et surtout pourquoi on le raconte ?
Au début de mon travail sur ce texte, seulement quelques mois après mon IVG, j’étais furieuse. Furieuse d’être aussi malheureuse et aussi seule. Je pensais que ma solitude était le résultat du caractère unique de ma situation. Que personne d’autre que moi n’avait vécu ce que j’avais vécu — et qu’il n’y avait pas de place pour mon vécu. Je trouvais les discours sur l’avortement incroyablement binaires. Mon ventre se soulevait quand je voyais passer les campagnes antichoix, et mon cœur se serrait quand je pensais aux témoignages rassemblés par les féministes pour les contrebalancer. Rien de tout cela n’était vrai, me disais-je, drapée dans ma douleur.
Je voulais qu’on parle plus honnêtement de l’avortement, j’étais trompée par cette solitude à crever dans laquelle j’avais tant peiné à naviguer. Plusieurs mois plus tard, j’ai compris qu’avant de parler plus vrai, il faut d’abord, encore, qu’on parle plus fort.
Encore aujourd’hui, personne ne veut entendre les avortées. Ce qui se passe dans nos ventres et dans nos têtes quand on choisit de ne plus être enceintes, c’est encore trop sale, trop glauque et trop honteux. Il faudrait qu’on se taise à jamais. Mais ce n’est plus très tendance de dire aux femmes de la fermer, alors s’il faut vraiment qu’on l’ouvre, voilà ce qu’on nous autorise : parler à voix basse, les yeux rivés au sol, et sans trop entrer dans les détails je vous prie.
J’étais féministe avant d’avorter. J’ai mis longtemps à m’expliquer ce qui s’était passé, quand je ne guérissais pas de la douleur d’avoir avorté, et que je m’étais sentie obligée de dire « je vais bien, merci ». Je n’allais pas bien, mais on ne dit pas ça, malheureuse ! On ne dit pas, dans un monde où tant de femmes ne peuvent toujours pas avorter librement, dans un monde où à chaque instant on sait que ce droit peut nous être retiré, qu’on a avorté et que bof, franchement, c’est pas quelque chose qu’à choisir, on referait.
J’ai confondu ma loyauté pour le féminisme qui m’a tant donné et qui soudain me donnait l’impression d’être enfermée, avec ce qui se jouait vraiment : le silence qu’on impose aux femmes qui font ce qu’elles veulent. Quand je disais « je vais bien, merci », alors qu’à l’intérieur j’avais envie de pleurer, ce n’était pas mon féminisme qui me trahissait : c’était la loi du silence qui faisait régner son tabou. Je ne voulais pas donner du grain à moudre aux méchants, je voulais être digne de ce droit durement acquis, toujours remis en question. J’ai mis du temps à comprendre que ce n’était pas le féminisme qui me poussait à agir ainsi. L’injonction n’était pas celle d’aller bien, mais celle, profondément patriarcale, de rentrer dans une seule case et de ne pas en déborder. Parce que pour l’avortement comme pour tant d’autres sujets qui touchent aux minorités opprimées, il n’y a pas de place pour notre complexité.
Quoi de mieux pour rendre hommage aux femmes qui ont lutté pour le droit à l’IVG, celles qui luttent encore à travers le monde, celles qui ont souffert de son illégalité, celles qui souffrent encore de ses limitations, que de continuer à en parler ? Je suis féministe mais je n’ai jamais eu à me battre pour l’avortement. J’ai donc, je crois, grandi en pensant naïvement qu’ici du moins, c’était presque un non-sujet. Un droit comme un autre, une procédure banale. En fait, c’est tout le contraire. C’est encore un sujet qui cristallise l’incompréhension, la haine et la solitude.
J’écris mon histoire pour combattre cette solitude, pour participer au chœur des voix sur l’avortement. J’écris pour la jeune femme que j’étais quand j’avais tapé « témoignage IVG » dans un moteur de recherche, et pour celle qui fera la même chose aujourd’hui. Qui tombera, elle aussi, sur un site de propagande antichoix déguisé, avant d’accéder à des informations objectives, médicales et honnêtes.
J’ai mis tellement de temps à parler de mon avortement, la tête haute et à d’autres femmes, tellement de temps à reconnaître mes sœurs dans cette expérience de vie. J’écris pour dire tout ce que le poids du tabou m’a empêchée de comprendre, faisant traîner le processus de ma guérison. Pour nous rapprocher de la lumière.
Si ça vous a donné envie d’en lire plus, il est plus que jamais temps d’aller l’acheter dans votre librairie préférée ! Il coûte 12 €, contient 96 pages de réflexions, et je suis ravie de me déplacer pour quelques rencontres afin d’en parler de vive voix avec vous. Voici les premières dates validées :
Ce soir-même, 25 mars, à L’Affranchie (Lille) : réservation obligatoire
Jeudi 31 mars, à Un livre et une tasse de thé (Paris 10)
Vendredi 15 avril, à Une librairie à soi·e (Lyon 1) : réservation obligatoire
Jeudi 28 avril, à Tulitu (Bruxelles 🇧🇪)
D’autres devraient arriver, je vous dis quoi (comme on dit chez moi).
Et pour acheter Avortée dans une libraire indépendante, c’est par là :