Amie prodigieuse
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Salut,
En ce moment, je suis une mauvaise amie. Ça me rend assez triste, parce que je me targue depuis que je suis adulte d’être une très bonne amie. Je suis quelqu’un de loyal, à qui on peut parler de tout sans jugement, je fais de très bons gâteaux et ma porte est toujours ouverte pour un thé au chaud dans mon canapé. Sauf en ce moment.
Avant, je n’étais pas trop douée pour l’amitié. Dans le très beau roman The Perks of Being a Wallflower1, il y a une phrase que j’aime beaucoup :
We accept the love we think we deserve.
Je vois dans cette citation une allusion à la quantité d’amour qu’on accepte de recevoir, mais aussi sa qualité : dans un monde patriarcal où amour rime souvent avec cruauté, c’est important de souligner que tout ne se vaut pas. Et quand j’étais plus jeune, je pensais que l’amitié (qui, après tout, n’est qu’une forme d’amour comme une autre) se devait d’être cruelle. Qui aime bien châtie bien, ce genre de conneries. J’acceptais donc d’avoir des amies qui se moquaient de moi, de mon physique ou de mes bizarreries, et je devais sûrement rendre la pareille à d’autres amies plus vulnérables encore que moi — on est toujours le ou la vilain·e dans l’histoire de quelqu’un, j’imagine.
Ces amitiés me mettaient mal à l’aise (quelle surprise) et finissaient par se terminer, en pointillés ou en éclats, elles s’élimaient ou se rompaient, et je ne savais jamais quoi faire pour réparer ça. Peut-être parce qu’on ne peut pas réparer quelque chose qui n’a jamais fonctionné, ça relèverait de la magie. Bref. En devenant adulte et en réalisant qu’en fait, il est possible de tisser des relations apaisées, bienveillantes et douces avec d’autres personnes, de rire avec et non pas de, je suis devenue une bonne amie.
J’ai appris à écouter, à prendre soin, à entretenir une relation aussi, et c’est probablement une de mes plus grande découvertes de l’adultat. Je trouve qu’on ne nous prépare pas assez au fait que les relations humaines s’entretiennent, qu’il faut chacun·e y mettre du sien continuellement pour continuer à fabriquer du sens ensemble. Parce que les amitiés d’enfance et d’adolescence sont souvent le fruit de la proximité : des corps et des expériences. On se retrouve au même endroit, on vit les mêmes récrés, traverse les mêmes grandes étapes. Une fois adulte c’est souvent tout l’inverse.
L’an dernier, un peu avant le début de la pandémie, mes deux meilleures amies ont déménagé loin de moi. Ça a été douloureux pour moi, parce que j’avais l’habitude de les avoir à portée : elles habitaient toutes les deux à quelques centaines de mètres de chez moi, elles étaient mon quotidien. Elles sont parties et je me suis demandé comment j’allais faire. Je n’avais jamais réussi à tenir des amitiés sur la distance. J’ai dû m’entraîner. Travailler, avec elles, à garder le lien. Un lien qui change, forcément, mais qui est toujours là. Je crois que jusqu’alors, je m’en sortais pas trop mal.
Et puis. Après un an de pandémie, j’ai l’impression que j’ai perdu toutes mes compétences sociales profondes. Je ne sais plus que râler, me plaindre et chouiner. Je suis devenue allergiques aux Skypéros, parce que l’idée de ne voir mes ami·es qu’en visio me donne envie de pleurer. Et quand on peut se voir pour de vrai, je suis d’humeur chafouine2, parce que ce qu’il nous est permis de faire ne me satisfait pas : c’est de vacances tous·tes ensemble que je rêve, ou tout au moins d’une soirée à boire des verres en terrasse de notre bar préféré (bondé, le bar, de préférence).
Je supporte de rester chez moi, mais plus que mes quatre murs ou la rue froide aux devantures fermées soient les seuls théâtres de mes amitiés.
Dans l’amitié ce que j’aime aussi, c’est l’aventure. Je vis une relation amoureuse très calme et plutôt casanière, où mon foyer est mon refuge. Et depuis que j’ai construit ces amitiés solides, elles sont autant de destinations où prendre l’air, m’inspirer, autant de ports où accoster. Et il faut bien le dire : la navigation de plaisance est fortement empêchée, depuis quelques temps.3
C’est une manière très longue et très tortueuse de demander pardon à ces personnes que j’aime et qui ne peuvent plus autant compter sur moi. Ces derniers jours, je repense beaucoup à la semaine que j’ai passée avec mes amies en Bretagne, cet été, entre deux confinements. Il faisait beau et on est allées voir la mer de nombreuses fois.
And in this moment, I swear we are infinite.
J’ai vraiment besoin de pouvoir me sentir infinie à nouveau.
Envoyez donc un mot d’amour à vos ami·es, voulez-vous ? À bientôt,
Pauline
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Ce système remplace ma page Tipeee, que je fermerai fin avril. À dimanche prochain !
Le Monde de Charlie en VF, de Steven Chbosky. (et le film éponyme vaut le coup d’oeil aussi)
Je refuse éternellement que “chafouin·e” veuille dire autre chose que “grognon·ne”, don’t @ me.
J’ai googlé “navigation de plaisance” pour vérifier que l’expression existait bien, et suis tombée dans une spirale de recommandations pour naviguer en temps de Covid : jpp sortez-moi de ce cauchemar.